naissance
déc
Enterré à la basilique Saint-denis
Let op: Partner (Rosala (Suzanne) d'ITALIE) is 36 jaar ouder.
(1) Hij is getrouwd met Rosala (Suzanne) d'ITALIE.Bron 2
Zij zijn getrouwd op 6 april 988, hij was toen 16 jaar oud.
Divorce en 929
(2) Hij is getrouwd met Berthe de BOURGOGNE (WELF).Bron 3
Zij zijn getrouwd in het jaar 997, hij was toen 24 jaar oud.
Divorcé Vers 1000
(3) Hij is getrouwd met Constance II (D'Arles) de PROVENCE.Bron 4
Zij zijn getrouwd in het jaar 1003, hij was toen 30 jaar oud.
Kind(eren):
Robert II de France
Robert II
Roi des Francs
Robert II le Pieux (né à Orléans vers 972[1] - mort au château de Melun le 20 juillet 1031), fils dâHugues Capet et de son épouse Adélaïde d'Aquitaine. Deuxième roi franc de la dynastie capétienne, il fut le souverain de l’An mil
puisquâil a régné de 996 à 1031.
Lâhistoriographie se consacre depuis longtemps à lâépoque de Robert le Pieux, lâAn mil, et sâest attachée à décrire lâinstauration de la paix de Dieu qui visait à canaliser les seigneurs et assurer la protection des biens de lâÉglise et des seigneuries. Par ailleurs, si depuis Jules Michelet, les historiens ont longtemps avancé que le passage à lâan mil avait provoqué des peurs collectives de fin du monde, cette thèse a été réfutée par Georges Duby puis par Sylvain Gougenheim[2]. En fait, la fin du Xe siècle et la première moitié du XIe siècle connaissent le début dâun changement économique et social avec lâaugmentation de la productivité agricole et des capacités dâéchanges permises par le développement de lâusage du denier dâargent. Dans le même temps, la fin des invasions et les continuelles guerres personnelles entraînent, à partir de 1020, la prolifération des châteaux privés, du haut desquels le droit de ban sâimpose, ainsi que lâémergence de la chevalerie, nouvelle élite sociale qui tient son origine des cavaliers carolingiens.
C’est dans ce contexte que Robert le Pieux poursuit l’instauration de la dynastie capétienne.
Associé dès 987 à la royauté, il assiste son père sur les questions militaires (conquête de Laon, 988-991). Sa solide instruction assurée par Gerbert d'Aurillac à Reims, lui permet de sâoccuper des questions religieuses dont il sera
rapidement le garant (il dirige le concile de Verzy en 991 et celui de Chelles en 994). Poursuivant lâÅuvre politique de son père, après 996, il parvient à maintenir lâalliance avec la Normandie et lâAnjou et à contenir les ambitions de Eudes II de Blois.
Au prix dâune longue lutte débutée en avril 1003, il conquiert le duché de Bourgogne qui aurait du lui revenir en héritage à la mort sans descendance directe de son oncle Henri Ier de Bourgogne, mais que ce dernier avait transmis en faveur de son beau-fils Otte-Guillaume.
Les déboires conjugaux de Robert le Pieux, avec Rozala d'Italie et Berthe de Bourgogne (qui lui valent une menace d’excommunication), puis la mauvaise réputation de Constance d'Arles contrastent étrangement avec lâaura pieuse, à la limite de la sainteté, que veut bien lui prêter son biographe Helgaud de Fleury dans Vie du roi Robert le Pieux (Epitoma vitae regis Roberti pii). Sa vie est alors présentée comme un modèle à suivre, faite dâinnombrables donations pieuses à divers établissements religieux, de charité envers les pauvres et surtout de gestes considérés comme sacrés, telle que la guérison de certains lépreux : Robert est le premier souverain considéré comme thaumaturge. La fin de son
règne révèle la relative faiblesse du souverain qui doit faire face à la révolte de son épouse Constance d'Arles puis de ses propres fils (Henri et Robert) entre 1025 et 1031.
Contrairement à son père Hugues Capet, nous avons conservé une littérature contemporaine de Robert le Pieux, exclusivement ecclésiastique, qui évoque la vie du roi. En premier lieu, il y a la biographie écrite par Helgaud de Fleury (Epitoma vitae regis Roberti pii, v. 1033), abbé de Saint-Benoît-sur-Loire[3], qui nâest en réalité quâun panégyrique voire une hagiographie du souverain. Autres sources exceptionnelles sont les Histoires (v. 1026-1047) du moine bourguignon Raoul Glaber. Homme de haute culture, il est par son réseau clunisien très bien renseigné sur l’Occident tout entier. Raoul est de loin l’informateur le plus complet sur le règne de Robert le Pieux. Secondairement, il faut noter la traditionnelle Histoire de Richer de Reims et le poème que lâévêque Adalbéron de Laon a adressé à Robert, décrivant ainsi la société de son temps.
Biographie
Jeunesse et formation
Articles détaillés : Robertiens et Hugues Capet.
Lâunique héritier du duc des Francs
Denier dâHugues Capet, « duc par la grâce de Dieu » (Dux Dei Gratia), atelier de Paris (Parisi Civita), fin du Xe siècle.Les hommes de ce temps nâont pas lâhabitude de sâintéresser à la naissance qui leur importe peu. On ne connaît donc pas, comme pour son père, la date ni le lieu précis, bien que les historiens penchent fortement pour lâannée 972 et pour Orléans, capitale du duché robertien depuis le IXe siècle[4]. Le fils unique du duc des Francs Hugues et de sa femme Adélaïde de Poitiers, se prénomme « Robert » comme son ancêtre héroïque Robert le Fort qui avait combattu les Vikings en 866. Le reste de la progéniture royale étant composé de trois soeurs : Gisèle, Edwige et Adélaïde (cf. ascendance sur 3 degrés).
Au Xe siècle, la famille des Robertiens est le clan aristocratique le plus puissant et le plus illustre du royaume de Francie. Durant les décennies précédentes, deux de ses membres sont déjà montés sur le trône, évinçant déjà la dynastie carolingienne : Eudes Ier (888) et Robert Ier (922). Le principat dâHugues le Grand, duc des Francs et grand-père de Robert le Pieux, marque lâapogée des Robertiens jusquâà sa mort en 956. Néanmoins, à partir du milieu du Xe siècle, Hugues Capet qui lui a succédé à la tête du duché et malgré un rayonnement encore important, ne parvient pas à sâimposer comme son père[5].
La jeunesse de Robert est surtout marquée par les combats incessants du roi Lothaire pour récupérer la Lorraine, « berceau de la famille carolingienne », aux dépens de lâempereur Otton II :
« Comme Otton possédait la Belgique (la Lorraine) et que Lothaire cherchait à sâen emparer, les deux rois tentèrent lâun contre lâautre des machinations très perfides et des coups de force, car tous les deux prétendaient que leur père lâavait possédée »
— Richer de Reims, apr. 990., [6]
En 978, un assaut général est lancé par le roi des Francs sur Aix-la-Chapelle. Câest une cuisante défaite, le souverain doit se réfugier chez Hugues Capet qui passe pour être le sauveur de la royauté carolingienne[7]. La dynastie robertienne prend alors un virage qui bouleversera le destin du jeune Robert. Lâévêque Adalbéron de Reims, à lâorigine homme du roi Lothaire, se tourne de plus en plus vers la cour ottonienne envers laquelle il éprouve de grandes sympathies.
Une éducation exemplaire
Denier dâAdalbéron de Reims, archevêque de Reims, fin du Xe s.Hugues comprend rapidement que son ascension ne peut se faire sans l’appui de lâarchevêque de Reims. Lui-même illettré, ne maîtrisant pas le latin, il décide dâenvoyer Robert, vers 984, non pas chez lâécolâtre Abbon de Fleury, près dâOrléans, mais chez Adalbéron afin quâil le forme aux rudiments de la connaissance. En effet, à la fin du Xe siècle, Reims a la réputation dâêtre la plus prestigieuse école de tout lâOccident chrétien. Le prélat accueille volontiers Robert, quâil confie à son secrétaire le fameux Gerbert d'Aurillac, lâun des hommes les plus instruits de son temps[8].
On suppose que pour suivre lâenseignement de Gerbert, le jeune garçon dut acquérir des bases en latin. Il enrichit ainsi ses connaissances en étudiant le trivium (câest-à-dire ce qui se réfère à la logique : grammaire, rhétorique et dialectique) et le quadrivium (câest-à-dire les sciences : arithmétique, géométrie, musique et astronomie). Robert est lâun des rares laïcs de son temps à profiter de la même vision du monde que les clercs[9]. Après environ deux années dâétudes à Reims, il regagne Orléans. Son niveau intellectuel sâest aussi développé dans le domaine musical, comme le reconnaît un autre grand lettré de son temps, Richer de Reims[10]. Dâaprès Helgaud de Fleury, à un âge inconnu de son adolescence, le jeune robertien tombe gravement malade, à tel point quâHugues et Adélaïde craignent pour sa vie. Câest alors que ses parents vont prier à lâéglise Sainte-Croix dâOrléans et offrent un crucifix
d’or et un vase somptueux de 60 livres (30 kg) en offrandes. Robert guérit miraculeusement[11].
« Sa pieuse mère lâenvoya aux écoles de Reims et le confia au maître Gerbert, pour être élevé par lui et instruit suffisamment dans les doctrines libérales. »
— Helgaud de Fleury, Epitoma vitae regis Roberti pii, v. 1033., [12]
L’association de Robert (987)
Devenu roi des Francs, Hugues souhaite ancrer le destin des Capétiens afin que sa famille ne perde plus la couronne, comme ce fut le cas en 898 avec Eudes et en 923 avec Robert Ier. C’est ainsi, qu’il propose à Adalbéron lâassociation de Robert au trône. Lâarchevêque de Reims est hostile à cette proposition et selon Richer, il aurait répondu au roi, « on nâa pas le droit de créer deux rois la même année ». On pense que Gerbert dâAurillac (qui est lui-même
proche de Borell II qui fut un temps son protecteur), serait alors venu au secours dâHugues pour convaincre le prélat dâévoquer lâappel du comte Borell II, comte de Barcelone, demandant l’aide du nouveau roi pour lutter contre Al-Mansur. Si Hugues venait à mourir, qui lui succéderait ? Sous la contrainte, Adalbéron cède[13].
À la différence de celui dâHugues Capet, le sacre de Robert est raconté précisément par Richer de Reims (jour et lieu bien identifiés). Vêtu de pourpre tissé de fils dâor, comme le voulait la tradition, le jeune garçon de 15 ans est acclamé, couronné puis sacré par lâarchevêque de Reims le 25 décembre 987 dans la cathédrale Sainte-Croix dâOrléans[14]. Le chroniqueur souligne que Robert est seulement « roi des peuples de lâOuest, depuis la Meuse jusquâà lâOcéan » et non pas « roi des Gaulois, des Aquitains, des Danois, des Goths, des Espagnols et des Gascons » comme son père. Aussitôt associé, Hugues veut pour son fils une princesse royale mais lâinterdiction dâépouser des personnes sous le seuil du troisième degré de parenté, lâoblige à chercher en Orient. Il fait rédiger une lettre de la plume de Gerbert qui demande au basileus, Basile II, la main de sa fille pour le jeune Robert. Aucune réponse nâest parvenue. Finalement, sous la pression de son père, Robert doit épouser, au printemps 988, Rozala d'Italie, trentenaire et veuve dâArnoul II, comte de Flandre et fille de Bérenger II, roi dâItalie. Elle apporte à la royauté capétienne Montreuil-sur-Mer, le Ponthieu et une possible tutelle sur la Flandre étant donné le jeune âge de Baudouin IV[15].
Le corps épiscopal, premier soutien du roi
Robert dirige les affaires religieuses
Sacré et marié, Robert collabore avec son père comme le prouve son signum au bas de certains actes dâHugues Capet. À partir de 990, tous les actes ont sa souscription. Dans les actes écrits : « Robert, roi très glorieux » comme le souligne une charte pour Corbie (avril 988) ou encore « filii nostri Rotberti regis ac consortis regni nostri » dans une charte pour Saint-Maur-des-Fossés (juin 989)[16]. Fort de son instruction reçue de Gerbert dâAurillac, sa tâche, dans un premier temps, est de présider les synodes épiscopaux :
« Il [Robert] assistait aux synodes les évêques pour discuter avec eux des affaires ecclésiastiques. »
— Richer de Reims, apr. 990., [17]
Contrairement, aux derniers Carolingiens, les premiers Capétiens sâattachent un clan dâévêques au nord-est de Paris (Amiens, Laon, Soissons, Châlons, etc.) dont le soutien se montrera déterminant dans la suite des événements. Dans un de leurs diplômes, les deux rois apparaissent comme les intermédiaires entre les clercs et le peuple (mediatores et plebis) et sous la plume de Gerbert d’Aurillac, ils insistent sur cette nécessité de consilium « ne voulant en rien abuser de la puissance royale nous décidons toutes les affaires de la res publica en recourant aux conseils et sentences de nos fidèles »[18]. Hugues et Robert ont besoin de lâappui de lâÉglise pour asseoir davantage leur légitimité
et également parce que les contingents de cavaliers qui composent lâarmée royale, proviennent en grande partie des évêchés[19]. Robert, apparaît déjà aux yeux de ses contemporains comme un souverain pieux (dâoù son surnom) et proche de lâÉglise pour plusieurs raisons :
il sâadonne aux arts libéraux ;
il est présent aux synodes des évêques ;
Abbon de Fleury lui dédie spécialement sa collection canonique ;
Robert pardonne facilement à ses ennemis ;
les abbayes reçoivent de nombreux dons de sa part.
Charles de Lorraine s’empare de Laon (988-991) [modifier]
Justement, les deux rois, Hugues et Robert ont besoin de contingents envoyés par les évêchés puisque la cité de Laon vient dâêtre prise dâassaut par Charles de Lorraine, prétendant carolingien au trône. Les souverains assiègent par deux fois la ville sans résultat[20]. Préoccupé par son échec laonnois, Hugues contacte plusieurs souverains afin dâobtenir leur aide (le pape Jean XV, lâimpératrice Théophano, mère du jeune Otton III), en vain. Après la mort dâAdalbéron de Reims (24 janvier 989), Hugues Capet décide de faire élire comme nouvel archevêque le carolingien Arnoul (un fils illégitime du roi Lothaire) plutôt que Gerbert. On pense qu’il s’agit d’apaiser les partisans du carolingien, mais la situation se retourne contre les Capétiens puisque Arnoul livre Reims à Charles[21].
La situation se débloque grâce à la trahison dâAdalbéron (Ascelin), évêque de Laon, qui sâempare de Charles et dâArnoul pendant leur sommeil et les livre au roi (991) : lâépiscopat sauve la royauté capétienne in extremis. Sâen suit le concile de Saint-Basle de Verzy où Arnoul le traître est jugé par une assemblée présidée par Robert le Pieux (juin 991). Malgré les protestations dâAbbon de Fleury, Arnoul est déposé. Quelques jours plus tard, Gerbert dâAurillac est nommé archevêque de Reims avec lâappui de son ancien élève Robert. Le pape Jean XV nâaccepte pas cette procédure et veut convoquer un nouveau concile à Aix-la-Chapelle, mais les évêques confirment leur décision à
Chelles (hiver 993-994)[22].
Gerbert et Ascelin : deux figures de déloyauté [modifier]
Lorsque son maître, Adalbéron de Reims meurt, Gerbert est dans lâobligation de suivre les intrigues du nouvel archevêque Arnoul décidé à livrer Reims à Charles de Lorraine. Bien que la documentation soit très lacunaire à ce sujet, il semblerait que lâécolâtre ait changé par la suite ses positions pour devenir le partisan de Charles :
« Le frère de Lothaire Auguste, héritier du trône, en a été expulsé. Ses concurrents, [Hugues et Robert], beaucoup de gens le pensent, ont reçu lâintérim du règne. De quel droit lâhéritier légitime a-t-il été déshérité ? »
— Gerbert d’Aurillac, Lettres, 990., [23]
Un doute de légitimité sâinstalle sur la couronne dâHugues et de Robert. Ce même Gerbert, voyant la situation changer en défaveur de Charles de Lorraine, change de camp durant lâannée 991. Devenu archevêque de Reims par la grâce du roi Robert il témoigne :
« De lâassentiment des deux princes [Hugues et Robert], monseigneur Hugues Auguste et lâexcellentissime roi Robert. »
— Gerbert d’Aurillac, Lettres, 991., [24]
Quant à Ascelin, le maître de Laon, après avoir servi la couronne en trahissant Charles et Arnoul, il se retourne contre elle. On sait qu’au printemps 993, il s’allie avec Eudes Ier de Blois afin de planifier la capture d’Hugues et de Robert en accord avec Otton III. Ainsi Louis (le fils de Charles de Lorraine) deviendrait roi des Francs, Eudes duc des Francs et Ascelin archevêque de Reims. Lâintrigue est dénoncée et ce dernier est placé en résidence surveillée[25].
Les problèmes conjugaux
Un amour pour Berthe de Bourgogne (996-1003)
L’Excommunication de Robert le Pieux, vue par le peintre Jean-Paul Laurens, 1875, musée d'Orsay. En réalité, lâexcommunication du roi nâa jamais été promulguée par le pape.Après environ trois ou quatre années de mariage (vers 991-992), le jeune Robert répudie Rozala (ou Suzanne) que son père avait forcée à épouser en dépit de lââge déjà avancé de la mariée (environ 35 ans). Elle est invitée à repartir dans ses domaines en Flandre rejoindre son fils Baudouin IV. En revanche, Robert a pris le soin de préserver la dot de Rozala, câest-à-dire le port de Montreuil qui se révèle être un point stratégique sur la Manche[26]. Les historiens pensent quâà partir de cette période, Robert souhaite défier son père, il aimerait enfin régner seul. De plus, comment approuver une union qui nâa donné, au bout de plusieurs années, aucune progéniture ? C’est pour cette raison que le vieux Hugues et ses conseillers ne sâopposent pas à la procédure de divorce.
« Le roi Robert, arrivé à lââge de sa dix-neuvième année, dans la fleur de sa jeunesse, répudia, parce quâelle était trop vieille, sa femme Suzanne, Italienne de nation. »
— Richer de Reims, Histoire, 996-998., [27]
Homme seul, Robert recherche une conjointe qui lui donnerait la progéniture mâle tant espérée. Au début de lâan 996, probablement au cours de la campagne militaire contre Eudes de Blois, il rencontre la comtesse Berthe de Bourgogne, épouse de ce dernier. Elle est la fille du roi de Bourgogne Conrad III et de Mathilde, fille de Louis IV d’Outremer. Robert et Berthe sont attirés lâun vers lâautre, malgré lâhostilité du roi Hugues (la maison de Blois est le grand ennemi des Capétiens). Pourtant, Robert y voit outre son intérêt sentimental, également un gain territorial puisque Berthe apporterait l’ensemble des territoires blésois[28]. Or, en 996, Eudes de Blois décède en mars puis Hugues Capet en octobre : le mariage peut avoir lieu.
Cependant deux détails sâopposent à cette union. Dâabord Robert et Berthe sont cousins au troisième degré et lui est le parrain de Thibaud, un des fils de Berthe. Selon le droit canon, le mariage se révèle alors impossible[29]. Les deux amants ont des relations physiques et Robert met sous tutelle une partie du comté de Blois. Il reprend à son compte la cité de Tours et Langeais à Foulques Nerra rompant ainsi lâalliance angevine, fidèle soutien du feu roi Hugues Capet. En ce début de règne, les rapports d’alliance s’inversent[30].
« Berthe, lâépouse dâEudes, prit le roi Robert pour défenseur de ses affaires et pour avoué. »
— Richer de Reims, Histoire, 996-998., [31]
Le couple trouve rapidement des évêques complaisants pour les marier, ce qui est fait vers novembre-décembre 996 par Archambaud de Sully, archevêque de Tours, au grand dam du nouveau pape Grégoire V. Pour plaire à lâautorité pontificale, le jeune souverain annule la sentence du concile de Saint-Basle, libère lâarchevêque Arnoul et le restaure sur le siège épiscopal de Reims. Gerbert dâAurillac doit alors se réfugier auprès de lâempereur Otton III en 997. Le pape rappelle à lâordre Robert et Berthe pour « union incestueuse »[32]. Enfin, deux conciles réunis dâabord à Pavie (février 997) puis à Rome en (été 998) les condamnent à faire pénitence pendant sept années, et en cas de non-séparation, ils seraient frappés dâexcommunication. Mais au bout de 5 ans dâunion, il n’y pas de descendance: Berthe et Robert qui sont consanguins nâont eu quâun enfant mort né. Robert cède et se rend à Rome pour se soumettre au pape. Lâarrivée de Gerbert au pontificat (Sylvestre II) n’y change rien; sans enfant, le roi doit quitter Berthe en 1003 mais il nâaura jamais été condamné, peut-être grâce à lâaccession de son ancien maître rémois sur le trône pontifical en 999[33].
Constance d'Arles, une reine à poigne (1003-1032)
Constance dâArles, nouvelle reine des Francs, une forte personnalité du XIe siècle. Gravure de la fin du XIXe siècle.Le roi ne divorce pas de Berthe, puisque lâunion nâayant pas été reconnue par lâÉglise, cette opération se révèle inutile. Il se marie une troisième fois vers 1003-1004 avec une princesse lointaine quâil nâa jamais rencontrée pour éviter toute parenté. Âgée de 17 ans Constance d'Arles vient de Provence. Elle est de sang royal, étant la fille de Guillaume Ier, comte de Provence et Arles et dâAdélaïde-Blanche dâAnjou[34]. Cette famille provençale sâest illustrée au Xe siècle puisque Guillaume surnommé le « Libérateur » avait repoussé définitivement les Sarrasins à La Garde-Freinet (972) et sa mère Adélaïde avait été un temps reine des Francs lors de son mariage éphémère avec le Carolingien Louis V de 982 à 984. Surtout la famille dâArles est apparentée à la maison dâAnjou avec laquelle lâalliance est ainsi rétablie[35].
Mais Constance est une maîtresse-femme qui ne rend pas le roi heureux. La personnalité de la reine donne lieu de la part des chroniqueurs à des commentaires défavorables : « vaniteuse, avare, arrogante, vindicative ». Les remarques misogynes, de la part de moines, surtout envers une reine sont tout à fait exceptionnels au XIe siècle. Dâautre part, on sait aussi que les Méridionaux venus à la cour avec Constance sont méprisés par les Francs et exclus. Lors de la rencontre entre les deux camps au tout début du XIe siècle, les contemporains font référence à un véritable « choc culturel ». Raoul Glaber souligne, par exemple, que les ecclésiastiques francs les plus conservateurs méprisent la mode provençale qui suggère la nouveauté et donc le désordre. En général, les Provençaux de lâan mil ne portent pas la barbe ou la moustache (on peut les confondre avec les femmes) et les laïcs ont les cheveux rasés (coiffe réservée aux clercs)[36]. Tout ceci expliquerait-il le comportement de la reine ?
Si on en croit Helgaud de Fleury, le roi lui-même craint sa femme :
« Ami Ogier, va-t-en dâici pour que Constance, mon épouse, lâinconstante ne te dévore pas ! »
— Helgaud de Fleury, Epitoma vitae regis Roberti pii, v. 1033., [37]
Le seul point positif câest que Constance lui donne une progéniture abondante :
Alix de France (v. 1003-apr. 1063), mariée à Renaud Ier comte de Nevers et d’Auxerre.
Hugues II (v. 1007-1025), roi des Francs associé à son père, mais qui meurt prématurément.
Henri Ier (v. 1008-1060), roi des Francs.
Adèle de France (ou Adélaïde) (v. 1009-1079), épouse Richard III de Normandie puis Baudouin V de Flandre.
Robert Ier le Vieux (v. 1011-1076), duc de Bourgogne.
Eudes (v. 1013-apr. 1060).
Au cours du règne de Robert le Pieux, Constance se place souvent au centre des intrigues afin de préserver une place singulière à la cour franque. Raoul Glaber souligne justement que la souveraine a « la haute main sur son mari ». Pour les contemporains, une femme qui dirige câest « le monde à lâenvers ». Tout commence au début de lâan 1008, un jour où le roi et son fidèle Hugues de Beauvais chassent en forêt dâOrléans. Soudain, douze hommes en armes surgissent et se jettent sur Hugues avant de le trucider sous les yeux du roi. Le crime a été commandé par Foulques Nerra et sûrement soutenu par la reine[38]. Robert excédé par son épouse au bout de six ou sept années de mariage, se rend personnellement auprès du pape, il est accompagné de Angilramme (un moine de Saint-Riquier) et de Berthe de Bourgogne (vers 1009-1010). Son dessein est bien entendu de faire annuler le mariage avec Constance. Odorannus, un moine de Saint-Pierre-le-Vif à Sens, explique dans ses écrits que, de son côté en lâabsence de son mari, Constance lâattend attristée dans son domaine de Theil. Selon lui, saint Savinien lui serait apparu et trois jours plus tard Robert était de retour, délaissant définitivement Berthe[39].
Les problèmes ne sâarrêtent pas pour autant. Suite à la victoire de Eudes II de Blois sur Foulques Nerra à Pontlevoy (1016), Raoul Glaber raconte que le jour de la Pentecôte 1017 à Saint-Corneille de Compiègne, Constance et son clan angevin imposent l’association d’Hugues le fils aîné contre lâavis des princes territoriaux. Ainsi, en cas de trépas du roi Robert, Constance assurerait la régence du royaume. En outre, on ne donne aucun pouvoir à Hugues qui est sans cesse humilié par sa mère avant de mourir prématurément en 1025. La reine sâoppose alors au sacre de son deuxième fils, Henri, quâelle nâaime guère au profit de son cadet Robert. Mais la cérémonie a lieu à Reims à la Pentecôte 1027[40].
Les conquêtes territoriales
Donjon de Montbazon bâti par Foulques Nerra. Un des rares vestiges de lâépoque de Robert le Pieux, fin du Xe siècle.Le roi Robert mène une politique claire : récupérer à son profit la fonction comtale, soit en se l’appropriant soit
en la cédant à un évêque ami, ainsi que lâont fait les Ottoniens, la dynastie la plus puissante dâOccident à lâépoque.
Le royaume de Robert le Pieux à la fin du Xe siècle.La victoire la plus éclatante de Robert reste lâacquisition du duché de Bourgogne. En octobre 1002, à la mort de son oncle Henri, le beau-fils de ce dernier, le comte Otte-Guillaume (fils issu du premier mariage de Gerberge de Chalon avec Aubert dâItalie), convoite le duché et si par malheur il parvenait à lâobtenir, il le ferait tomber dans la mouvance impériale. Après lâappel du comte Hugues Ier de Chalon, évêque dâAuxerre, le roi, rejoint par Richard II de Normandie, rassemble ses troupes au printemps 1003. Le duché de Bourgogne, acquis par son grand-père Hugues le Grand en 954 fait partie des possessions familiales robertiennes[41]. De plus, le territoire est un enjeu de taille puisqu’il regorge de riches cités (Dijon, Auxerre, Langres, Sens...) sans oublier Cluny et ses filiales. Mais la campagne de 1003 se passe mal, les troupes royales échouent devant Auxerre et Saint-Germain d’Auxerre. En 1005, Robert et ses hommes reviennent en Bourgogne, ils prennent sans mal Avallon, puis Auxerre. À lâautomne de la même année, lâensemble des possessions du feu Henri reviennent à la Couronne exceptée la cité de Dijon. Le roi, sans héritier, gouverne lui-même le duché en sây rendant régulièrement. Après quelques années de campagnes militaires et diplomatiques, le roi sâassure en fin de compte le duché bourguignon et en confie la gestion à son fils Henri (1016). Lorsque le fils aîné Hugues décède (1027), le duché revient au cadet Robert dont la descendance bourguignonne régnera jusquâau milieu du XIVe siècle. En revanche, le royaume de Bourgogne passe sous la coupe de l’empereur (1027)[42].
À Sens une lutte sâinstaure entre le comte Fromond et lâarchevêque Léotheric pour le contrôle de la cité. Léotheric, qui est un proche du roi, est furieux du comportement du comte qui a fait construire une puissante tour de défense. En 1012, Rainard succède à son père Fromond et la situation empire dâautant que lâévêque de Langres, Brunon de Roucy, ennemi du roi Robert, est l’oncle maternel de Rainard. L’archevêque de Sens, isolé, fait appel au roi. Ce dernier souhaite intervenir pour plusieurs raisons : Sens est une des principales cités archiépiscopales du royaume, câest également un passage obligé pour se rendre en Bourgogne et enfin la possession du comté sénonais permettrait à Robert de couper les possessions de Eudes II de Blois en deux. Le comte est excommunié et subit lâattaque du roi qui sâempare de Sens le 22 avril 1015. Rainard, qui sâest entre temps allié à Eudes de Blois, propose un compromis à Robert : il continue dâexercer sa charge comtale et à sa mort le territoire reviendra à la Couronne. Rainard meurt 40 ans plus tard mais Robert a réussi à placer Sens sous son contrôle[43].
Sitôt lâaffaire sénonaise terminée, Robert part pour Dijon achever sa conquête bourguignonne. Encore une fois, selon la chronique de Saint-Bénigne de Dijon, Odilon de Cluny serait intervenu et le roi, ému, aurait renoncé à lâassaut. Lâévêque de Langres Brunon meurt en 1016 ce qui permet aux troupes royales de rentrer dans Dijon quelques jours plus tard[44]. Lorsque vers 1007, Bouchard de Vendôme (lâancien fidèle dâHugues Capet) meurt, le comté de Paris quâil détenait nâest pas attribué à son fils Renaud. Lorsque ce dernier meurt à son tour (1017), le roi sâapproprie son comté de Melun et le comté de Dreux. À Bourges, lâarchevêque Daibert décède en 1012. Robert nomme lui-même son remplaçant, Gauzlin, ancien abbé de Fleury. Mais le vicomte de cette même cité, Geoffroi, tente dâintervenir personnellement dans le choix du successeur de Daibert et empêche le nouvel archevêque dâaccéder à son siège : le pape Benoît VIII, Odilon de Cluny et Robert le Pieux doivent intervenir pour que Gauzlin puisse œuvrer[45].
Lâaffaire des hérétiques dâOrléans (1022)
Lâan mil constitue le « réveil de lâhérésie ». Au cours du haut Moyen Âge, on nâavait pas connu de persécutions de ce type. Le XIe siècle inaugure une série de bûchers hérétiques en Occident : Orléans (1022), Milan (1027), Cambrai (1078). En ce qui concerne le roi Robert, l’affaire des hérétiques dâOrléans constitue un élément fondamental de son règne et a, à lâépoque, un retentissement sans précédent[46].
Dâoù viennent ces « hérétiques » ? La nature des événements nous est contée par des sources exclusivement ecclésiastiques : Raoul Glaber, Adémar de Chabannes, André de Fleury, Jean de Ripoll. Lâan mil prolonge lâidée dâun siècle corrompu où la richesse du clergé contraste terriblement avec lâhumilité prônée par Jésus Christ. Certains clercs remettent en cause ce système et désirent purifier la société chrétienne. Le débat nâest pas nouveau, déjà au IXe siècle, il y avait eu des controverses entre lettrés à propos de lâeucharistie, le culte des saints... mais en 1022, c’est d’une autre nature.
Raoul Glaber fait le récit du paysan Leutard de Vertus (Champagne) qui, vers 994, décide de renvoyer son épouse, de détruire le crucifix de son église locale et de prêcher aux villageois le refus dâacquitter les dîmes avec comme prétexte la lecture des saintes Écritures. Lâévêque de son diocèse, Gibuin Ier de Châlons le convoque, argumente avec lui devant la population et le convainc de sa folie hérétique. Abandonné de tous, Leutard se suicide. Dâautres hérétiques connaissent au cours du siècle la mésaventure de Leutard, câest-à-dire se ridiculiser sur des questions intellectuelles, face à des savants de sorte que leur message ne vaut plus rien et soit discrédité aux yeux des simples mortels[47]. Adémar de Chabannes quant à lui signale, vers 1015-1020, lâapparition de manichéens en Aquitaine, surtout dans les cités de Toulouse et de Limoges.
Les thèmes communs des hérétiques sont : le renoncement à la copulation charnelle, la destruction des images, lâinutilité de lâÉglise et la répudiation des sacrements (en particulier le baptême et le mariage). Étonné par cette vague de contestations, Raoul Glaber évoque dans ses écrits que Satan a été libéré « après mille ans » selon lâApocalypse et quâil a dû inspirer tous ces hérétiques depuis Leutard jusquâaux Orléanais. Un autre contemporain du temps sâexprime :
« Ils [les hérétiques] prétendaient quâils avaient foi en la Trinité dans lâunité divine et en lâIncarnation du Fils de Dieu mais câétait mensonge car ils disaient que les baptisés ne peuvent pas recevoir le Saint-Esprit dans le baptême et que après un péché mortel, nul ne peut en aucune façon recevoir le pardon. »
â André de Fleury, v. 1025., [48]
Pour les chroniqueurs, lâhérésie orléanaise provient tantôt dâun paysan périgourdin (Adémar de Chabannes) tantôt dâune femme de Ravennes (Raoul Glaber). Mais surtout, le plus inadmissible c’est que le mal touche Orléans, la cité royale et la cathédrale Sainte-Croix, là où Robert a été baptisé et sacré il y a quelques décennies. Des chanoines proches du pouvoir avaient été endoctrinés par lâhérésie : Théodat, Herbert (maître de la collégiale de Saint-Pierre-le Puellier), Foucher et surtout Étienne (confesseur de la reine Constance) et Lisoie (chantre de Sainte-Croix) entre autres. Le roi Robert est averti par Richard de Normandie et le jour de Noël 1022, les hérétiques sont arrêtés et interrogés pendant de longues heures. Raoul Glaber rapporte quâils reconnaissaient appartenir à la « secte » depuis longtemps et que leur dessein étaient de convaincre la cour royale de leurs croyances (refus des sacrements, interdits alimentaires, doutes sur la Création, sur la virginité de la Vierge Marie et sur la Trinité). Ces détails sont sûrement vrais, par contre, c’est abusivement que Raoul Glaber et les autres chroniqueurs diabolisent à lâenvie les réunions du « cercle orléanais » : ils les soupçonnent de pratiquer des orgies sexuelles, dâadorer le diable, de crimes rituels. Ces reproches sont ceux qu’on faisait aux premiers chrétiens durant lâAntiquité tardive[49].
« À cette époque, dix des chanoines de Sainte-Croix dâOrléans, qui semblaient plus pieux que les autres, furent convaincus dâêtre manichéens. Le roi Robert, devant leur refus de revenir à la foi, les fit dâabord dépouiller de leur dignité sacerdotale, puis expulser de lâÉglise, enfin livrer aux flammes. »
â Adémar de Chabannes, v. 1025., [50]
Dâaprès la légende, Étienne, le confesseur de Constance, aurait reçu un coup de canne dâelle qui lui aurait crevé un Åil. Le roi Robert fait dresser à lâextérieur de la cité un immense bûcher le 28 décembre 1022. Espérant les effrayer, le roi est surpris de leur réaction :
« Sûrs dâeux-mêmes, ils ne craignaient rien du feu ; ils annonçaient quâils sortiraient indemnes des flammes, et en riant ils se laissèrent attacher au milieu du bûcher. Bientôt ils furent totalement réduits en cendres et lâon ne retrouva même pas un débris de leurs os. »
â Adémar de Chabannes, v. 1025., [51]
Cet acharnement surprend les contemporains et encore les historiens modernes. Les différents chroniqueurs, bien quâils soient horrifiés par les pratiques des hérétiques, ne commentent à aucun moment la sentence et Helgaud de Fleury passe même lâépisode sous silence. À croire que lâhistoire des hérétiques dâOrléans entacherait sa réputation de saint ? En tout cas lâévénement fait tellement du bruit dans le royaume quâil aurait été perçu jusquâen Catalogne à en croire une lettre du moine Jean à son abbé Oliba de Ripoll : "Si vous en avez entendu parler ce fut bien vrai" dit-il. Pour les historiens, cet épisode ferait référence à un règlement de compte. En 1016, Robert avait imposé sur la chaire épiscopale dâOrléans un de ses proches, Thierry II, aux dépens de Oudry de Broyes, le candidat d’Eudes II de Blois. Or, l’affaire, à laquelle il est peut-être mêlé, éclate sous son épiscopat. Pour se laver de toute responsabilité, le roi Robert aurait souhaité liquider violemment les imposteurs[52].
Fin de règne
Gisants de Robert le Pieux et de Constance d’Arles. Basilique de Saint-Denis, milieu du XIIIe s.Le dernier grand événement du règne de Robert le Pieux est lâassociation au trône de son second fils, Henri. Encore une fois, il doit supporter les arguments de la reine Constance qui souhaite imposer son fils cadet, Robert. Dans l’entourage royal, le prince Henri est considéré comme trop efféminé ce qui est contraire au principe masculin de la virtus. Favorables à lâélection du meilleur, lâépiscopat et de nombreux princes territoriaux montrent leur refus. Néanmoins le roi, soutenu par quelques personnalités (Eudes II de Blois, Odilon de Cluny, Guillaume de Volpiano), tient bon et Henri est finalement sacré le jour de la Pentecôte 1027 à Reims par lâarchevêque Ebles de Roucy. Robert entérine définitivement lâassociation royale établie par le souverain en place[53]. Les plus grands du royaume ont fait le déplacement : Eudes de
Blois, Guillaume V d'Aquitaine, Richard III de Normandie. Dâaprès le chroniqueur Hildegaire de Poitiers, la cérémonie une fois finie, Constance se serait enfuie à cheval folle de rage. Après quarante années de règne, une agitation politique pointe dans le royaume. En Normandie, le nouveau duc Robert le Magnifique expulse son oncle Robert, archevêque de Rouen (v. 1027-1029). Le souverain doit arbitrer le conflit et tout rentre en ordre. Même type de scénario en Flandre où le jeune Baudouin, désireux de pouvoir, se soulève contre son père Baudouin IV en vain. De son côté, Eudes II de Blois, enrôle à son profit le nouveau souverain Henri dans sa lutte contre Foulques Nerra. Ces campagnes sont sans suite (1027-1028). Âgé de plus de 55 ans, un âge auquel dans la tradition de lâépoque on doit sâeffacer du pouvoir, le roi Robert est toujours sur son trône. Il doit essuyer plusieurs révoltes de la part de ses fils Henri et Robert, probablement intriguées par la reine Constance (1030). Robert et Constance doivent sâenfuir en Bourgogne où ils rassemblent leurs forces auprès de leur gendre, le comte de Nevers, Renaud er, lâépoux de leur première fille Alix. De retour dans leur domaine, la paix est rétablie avec les membres de la famille royale[54].
Robert le Pieux décède finalement au cours de lâété 1031, à sa résidence de Melun, dâune fièvre accablante dit-on :
« XIII Kal. Aug. Rotbertus Francorum Rex (Les 13 Calendes dâaoût. Robert roi des Francs.). »
— Abbaye de Saint-Denis, Obituaire de Saint-Denis, 1031., [55]
Quelques jours auparavant, le 29 juin, selon Helgaud de Fleury, une éclipse de soleil était venue annoncer un mauvais présage :
« Quelque temps avant sa très-sainte mort, qui arriva le 20 juillet, le jour de la mort des saints apôtres Pierre et Paul, le soleil, semblable au dernier quartier de la lune, voila ses rayons à tout le monde, et parut à la sixième heure du jour, pâlissant au dessus de la tête des hommes, dont la vue fut obscurcie de telle sorte, quâils demeurèrent sans se reconnaître jusquâà ce que le moment dây voir fut revenu. »
— Helgaud de Fleury, Epitoma vitae regis Roberti, v. 1033., [56]
Très apprécié par les moines de Saint-Denis, le roi défunt est transporté en hâte de Melun jusquâà lâabbaye où repose déjà son père, devant lâautel de la Sainte-Trinité. Les bénéfices que le souverain a offerts à lâabbaye sont énormes. Lorsquâils rédigent leur chronique, les moines affirment quâau moment de sa mort, les rivières ont débordé renversant des maisons et emportant des enfants, une comète est passée dans le ciel et une famine a touché
le royaume pendant près de deux années. Lorsquâil achève sa biographie vers 1033, Helgaud sâétonne que le tombeau du pieux Robert ne soit encore recouvert que d’une simple dalle et d’aucun ornement. Au milieu du XIIIe siècle, saint Louis fait sculpter de nouveaux gisants pour tous les membres de la famille royale[57].
Lorsquâil apprend la nouvelle de la mort de son père, Henri Ier monte sur le trône pour un règne de trente années.
Bilan du règne de Robert le Pieux
Les fausses terreurs
LâEnfant donné par Dieu pour sauver le genre humain de Satan. Apocalypse de Saint Sever, v. 1060, Bibliothèque nationale, Paris.Les Terreurs ou Peurs de lâan Mil sont un mythe du XVIe siècle, façonné sur la base dâune chronologie de Sigebert de Gembloux (XIIe s.), avant dâêtre repris par les historiens romantiques du XIXe siècle (dont Jules Michelet). Il sâagissait dâexpliquer que les chrétiens occidentaux étaient terrifiés par le passage de lâan mil suite
auquel Satan pourrait surgir de lâAbîme et provoquer la fin du monde. Le christianisme est une religion eschatologique à travers laquelle les hommes doivent se comporter idéalement durant la vie terrestre pour espérer avoir leur Salut éternel avant quoi ils seront tous soumis au Jugement dernier. Cette croyance est très présente tout au long du Moyen Âge est en particulier aux Xe et XIe siècles, période durant laquelle lâÉglise est encore très ritualisée et sacrée. Néanmoins, il ne faut pas confondre lâeschatologie et le millénarisme : câest-à-dire craindre la fin du monde après les mille années de lâincarnation du Christ[58]. Pourquoi ?
Tout part de lâApocalypse selon Jean qui, à lâorigine, menace du retour de Satan mille ans après lâincarnation du Christ :
« Puis je vis un Ange descendre du ciel ayant en main la clé de lâAbîme ainsi quâune énorme chaîne. Il maîtrisa le Dragon et lâantique Serpent [Satan] et lâenchaîna pour mille années. Il le jeta dans lâAbîme tira sur lui les verrous, apposa les scellés afin quâil cessât de fourvoyer les nations jusquâà lâachèvement de mille années. Après quoi il doit être relâché pour un peu de temps. »
— L’Apocalypse selon Jean, Ier s. apr. J-C., [59]
Déjà au Ve siècle, saint Augustin interprète le millénarisme comme une allégorie spirituelle à travers laquelle le nombre « mille » ne signifie finalement quâune longue durée non déterminée numériquement (Cité de Dieu). Quelques années plus tard, le concile d'Éphèse (431) décide de condamner officiellement la conception littérale du millénium. À partir de la fin du Xe siècle, lâintérêt que portent les clercs pour lâApocalypse est marqué par la diffusion de Commentaires à travers tout lâOccident (Apocalypse de Valladolid, de Saint-Saver...). Cependant, lâÉglise maîtrise le mouvement millénariste[60].
Ce sont les analyses des sources, exclusivement ecclésiastiques, qui peuvent provoquer des contre-sens. « Lâénormité des péchés accumulés depuis des siècles par les hommes », soulignent les chroniqueurs, laisse croire que le monde court à sa perte, que le temps de la fin est venue. L’un d’eux Raoul Glaber est, encore une fois, une des rares sources sur la période. Il rédige ses Histoires vers 1045-1048, soit une quinzaine dâannées après le millénaire de la Passion (1033) :
« On croyait que lâordonnance des saisons et des éléments, qui avait régné depuis le commencement sur les siècles passés, était retournée pour toujours au chaos et que câétait la fin du genre humain. »
— Raoul Glaber, Histoires, IV, v. 1048., [61]
En fait le moine bourguignon décrit la situation plusieurs années après dans une dimension encore une fois eschatologique fidèle à lâApocalypse. Celle-ci a pour but dâinterpréter lâaction de Dieu (les prodiges) qui doit être vue comme des avertissements envers les hommes pour que ces derniers fassent acte de pénitence. Ces signes sont attentivement relevés par les clercs. Dâabord les incendies (cathédrale Sainte-Croix dâOrléans en 989, les faubourgs de Tours en 997, Notre-Dame de Chartres en 1020, lâabbaye de Fleury en 1026...), les dérèglements de la nature (séisme, sécheresse, comète, famine), lâinvasion des Païens (les Sarrasins vainqueurs de Otton II en 982) et enfin la prolifération dâhérétiques conduits par des femmes et des paysans (Orléans en 1022, Milan en 1027). Il ajoute :
« Ces signes concordent avec la prophétie de Jean, selon laquelle Satan sera déchaîné après mille ans accomplis. »
— Raoul Glaber, Histoires, IV, v. 1048., [62]
D’autre part, il faut savoir qu’autour de l’an mil, seule une infime partie de la population (lâélite ecclésiastique) de Francie est capable de calculer lâannée en cours à des fins liturgiques ou juridiques (dater les chartes royales). Ceux qui peuvent déterminer précisément la date conçoivent un « millénaire dédoublé » : 1000 pour lâIncarnation et 1033 pour la Passion du Christ. De plus, bien que lâère chrétienne soit mise en place depuis le VIe siècle, son emploi ne se généralise quâà partir de la seconde moitié du XIe siècle : en bref, les hommes ne se repèrent pas dans la durée par les années. La vie est alors rythmée par les saisons, les prières quotidiennes et surtout les grandes fêtes du calendrier religieux : dâailleurs lâannée ne commence pas partout à la même date (Noël en Angleterre, Pâques en Francie...)[63].
En outre, rien dans ces écrits prouvent quâil y ait bien eu des terreurs collectives. Dâailleurs, vers 960 à la demande de Gerberge de Saxe, lâabbé de Montier-en-Der Adson rédige un traité (De la naissance de lâépoque de lâAntéchrist) dans lequel il rassemble un dossier de ce que les saintes Écritures disent de lâAntéchrist. Il en conclut que la fin des temps ne surviendrait pas avant que les royaumes du monde soient séparés de lâEmpire. Chez Abbon de Fleury, le passage au IIe millénaire nâest pas passé inaperçu, puisque vers 998 il adresse un plaidoyer à Hugues Capet et son fils Robert. Il accuse ainsi un clerc qui, lorsquâil était étudiant, revendiquait la fin du monde au tournant
de lâan mil. Ainsi, même les grands savants du Xe siècle sont anti-millénaristes[64].
« On mâa appris que dans lâannée 994, des prêtres dans Paris annonçaient la fin du monde. Ce sont des fous. Il nây a quâà ouvrir le texte sacré, la Bible, pour voir quâon ne saura ni le jour ni lâheure. »
— Abbon de Fleury, Plaidoyer aux rois Hugues et Robert, v. 998., [65]
Depuis Edgar Pognon, les historiens modernes ont bien montré que ces grandes Terreurs populaires nâont jamais existé. Cependant, au cours des années 1970, une nouvelle explication sâest imposée. Georges Duby, explique ainsi quâaucune panique populaire ne sâest manifestée autour de lâan mil mais quâen revanche on peut déceler une certaine « inquiétude diffuse » et permanente dans lâOccident de cette époque. Il y a probablement à la fin du Xe siècle, des personnes concernées par lâapproche de lâan mil et qui ont quelques inquiétudes. Mais elles furent très minoritaires, puisque les gens les plus instruits comme Abbon de Fleury, Raoul Glaber ou Adson de Montierender n’y croyaient pas. Sylvain Gougenheim (maître de conférences (histoire médiévale) à l'université de Paris I) et Dominique Barthélemy combattent alors avec force la thèse de G. Duby de lâ« inquiétude diffuse ». Pour eux, si la fin des temps avait été martelée par lâÉglise, celle-ci aurait probablement pu perdre son pouvoir et sa légitimité. La vraie seule inquiétude, à toutes les époques, câest le Salut[66].
« La mutation féodale »
Articles détaillés : Féodalité et Motte castrale.
Maquette de motte castraleLa féodalité est un terme complexe dont lâétude historique est quelques fois délicate. « Câest un ensemble dâinstitutions et de relations concernant toute la société, dite alors, féodale[67] ». Les historiens médiévistes modernes ne sont pas dâaccord sur la chronologie et la diffusion de cette féodalité[68].
La juridiction carolingienne (IXe siècle-vers 1020) [modifier]
Au cours du haut Moyen Âge un certain lien féodal existe déjà puisque certains puissants cèdent un bénéfice (beneficium) à leurs fidèles (souvent une terre). Pourtant la société est encore dominée par un « servage » latent qui se rencontre dans la justice : seuls les hommes libres ont le droit dây accéder ; les non-libres sont châtiés corporellement et défendus par leur maître[69]. Le roi et le prince du Xe siècle, se servent encore du pouvoir judiciaire, pour défendre leurs biens et leurs droits, en infligeant aux condamnés lâhériban (taxe de 60 sous à ceux qui refusent de servir l’ost) et en confisquant les biens de ceux qui les ont offensés[70].
À partir des années 920, lâautorité publique commence à se concentrer en plusieurs points (routes, cités, sites défensifs...). Les alliances matrimoniales unissent les enfants royaux et comtaux depuis le IXe siècle : les dynasties princières se mettent en place, ce qui fait dire à Adalbéron de Laon :
« Les lignées de nobles descendent du sang des rois. »
â Adalbéron de Laon, Poème au roi Robert, v. 1027-1030., [71]
Déjà les textes font référence à un serment de fidélité : le baiser (osculum) est généralement perçu comme un geste de paix entre parentés ou entre alliés. Dâautre part, lâhommage (commandatio) est vu comme un geste humiliant et il semblerait que peu de comtes en fassent allégeance au roi[72]. Du côté des humbles, la fidélité peut être également dâordre servile, comme le montre la pratique ancienne du versement du chevage, qui devient au cours du IXe siècle une sorte dâ« hommage servile ». Cela fait dire à D. Barthélemy, à lâinverse de G. Duby et P. Bonnassie, que le haut Moyen Âge est le témoin dâun « binôme » : lâaffranchissement et lâ« hommage servile ». Cela montrerait que la servitude est de moins en moins ancrée dans la société[73].
Affligés de nombreuses charges, les comtes délèguent une partie de leur pouvoir judiciaire à certains de leurs gardiens de châteaux, les castellani (châtelains). Ces derniers reçoivent soit au château (pour les plus aisés) soit à la
vicaria (ou viguerie, une assemblée judiciaire réservée aux plus humbles)[74].
Constitution des châtellenies (vers 1020-1040)
La forteresse de Montlhéry, symbole de la révolte châtelaine en Île-de-France (ruines des XIIe-XIIIe s.)Entre 980 et 1030, explique Georges Duby, le pagus du haut Moyen Âge sâest progressivement transformé en un territoire centré sur
sa forteresse publique, devenue rapidement le point d’attache de nombreuses familles aristocratiques. Sur l’ensemble du royaume, un certain nombre de castra (châteaux) privés et publics en bois, se construisent très rapidement sur une
motte castrale artificielle ou non contre lâautorité publique (il y a une véritable prolifération après 1020). La motte nâest pas toujours la résidence principale mais un point par lequel sâaffirme la légitimité du pouvoir seigneurial.
On assiste également à certains changements dâordre juridique[75]. Les châtelains prennent à leur compte la justice publique quâils privatisent et quâils rendent héréditaire. Câest ce que certains historiens appellent le « choc
châtelain » y voyant ainsi une véritable révolution sociale. Aux marges du domaine royal de Robert le Pieux, les forestiers (par exemple Guillaume de Montfort) du roi dirigent à Montlhéry ou à Montfort-l'Amaury leur forteresse, dont ils étaient les gardiens, vers 1020-1030[76]. Pour faire régner lâordre sur le territoire qui constitue leur ressort juridique (districtus), ils embauchent, à leur tour, des milites (chevaliers), des hommes qui se battent à cheval, qui proviennent de catégories sociales différentes (cadets de familles nobles, alleutiers riches, certains possèdent des terres, quelques serfs) mais qui nâont pas la responsabilité de « chef ». La pyramide féodale est ainsi presque achevée :
La pyramide féodale vers 1030[77] Roi Comte Châtelain ou sire Chevalier de village Humble
Le premier de ses pairs (responsable du royaume, de la guerre et de la paix). Prince territorial de sang royal, à lâorigine auxiliaire du roi, il est devenu indépendant au IXe siècle (responsable du comté). Cadet du comte, à lâorigine auxiliaire de celui-ci, il est devenu indépendant au XIe siècle (responsable de la châtellenie). Combattant à cheval et auxiliaire du châtelain, il est chargé de maintenir le droit du ban à lâéchelle locale (responsable dâune seigneurie). Il dépend dâun seigneur foncier, à qui il paye une redevance fixe (cens) pour sa tenure, et dâun seigneur du ban, à qui il paye des redevances arbitraires pour utiliser les outils vitaux (moulin, pressoir, four...).
Le nouveau détenteur accumule une force accrue et il légitimise son nouveau pouvoir en avançant sa noblesse de sang. Lâensemble des pouvoirs publics deviennent désormais privés : câest le bannum. Il semblerait même que certains dâentre eux se soient en partie détournés des comtes. Ainsi, dans sa thèse, Georges Duby montre quâentre 980 et 1030, les châtelains désertent le plaid du comte de Mâcon, sâapproprient la vicaria et finissent par concentrer tout le pouvoir local[78]. Cette situation nâest cependant pas générale et on assiste à des hommages par les mains jointes du vassal à son seigneur, au développement de lâaide vassalique qui se précise dans les textes (fidélité, appui et conseil militaires...). Enfin, le bénéfice devient le fief (feodum) et lâalleu devient de plus en plus rare.
La mise en place de la seigneurie banale
"Les quatre cavaliers". Apocalypse de Valladolid, v. 970, Bibliothèque de Valladolid, Espagne.Lâobjectif de ces châtelains nâest pas dâobtenir une pleine indépendance politique envers le comte mais plutôt de s’assurer des droits de commandement solides sur la paysannerie. Ainsi, vers 1030 dans le comté de Provence, on les voit obliger les alleutiers à entrer dans leur dépendance en échange dâun bien foncier ou dâune rémunération monétaire[79].
Une des caractéristiques de lâépoque féodale, câest la prolifération de ce que les textes appellent les « mals usos » (les mauvaises coutumes). Sous le règne de Charles le Chauve, lâédit de Pîtres (864) faisait déjà référence aux coutumes, ce qui laisse à croire quâil y aurait une continuité juridique entre lâépoque carolingienne et lâan mil. En règle générale, la documentation ne permet pas dâévaluer la part des divers types de revenus, des droits sur les terres, les manses ou les parcelles, et des prélèvements sur les hommes. Ces usages sont réputés néfastes et nouveaux pour les communautés paysannes, mais quelques cas démontrent lâinverse[80]. Quelles sont ces coutumes ?
Depuis lâépoque carolingienne, le paysan vit dans un manse (ou tenure, une petite maison et un petit champ) quâil exploite en échange dâune redevance (le cens ou le champart quâil paie à son seigneur) et de corvées (câest-à-dire exploiter la réserve au compte du seigneur). Le seigneur fait appel à la justice publique, la vicaria (du comte ou du roi) puisquâil nâa pas cette compétence. Ce système est la seigneurie foncière.
À partir des années 1020-1030, se met en place, en parallèle à la seigneurie foncière, un nouveau statut juridique. Le paysan paie toujours sa redevance (cens ou champart) à son seigneur foncier, mais un autre seigneur (le sire aidé de
ses milites) s’empare plus ou moins violemment de la justice publique quâil prend à son compte. Il dirige donc la vicaria et impose aux paysans de la seigneurie son droit de ban : la communauté doit désormais se soumettre juridiquement à cet usurpateur et lui payer des redevances pour l’utilisation du moulin, du four, du pressoir, des voies (les banalités)... Pour certains historiens (D. Duby, P. Bonnassie), les sires ont rétabli lâégalité entre libres et non-libres en les soumettant au titre de serf. Pour dâautres (D. Barthélemy), il nây a quâun changement de nom dans les textes mais la condition reste la même depuis les temps carolingiens (câest-à-dire une sorte dâ« hommage servile »
plutôt que dâune situation esclavagiste). Ce système est la seigneurie banale[81].
Les conflits locaux dits « féodaux » ont pour but la perception des coutumes sur telle ou telle seigneurie, ce qui représente un enjeu financier considérable. Lâensemble des seigneuries constituent ainsi le ressort du château : la châtellenie. Il ne faut pas cependant pas imaginer un espace centralisé autour du château, câest un territoire fluctuant au grès des guerres privées. Aucun bâtiment nâest encore parfaitement associé à la seigneurie avant au moins 1050[82]. Quelque fois, dans lâenchevêtrement des seigneuries, le sire se retrouve à la fois seigneur foncier et seigneur du ban. Ne pouvant tout contrôler de sa seule personne, le châtelain délègue alors à ses vassaux, les chevaliers, tel ou tel droit (la vicaria dans telle seigneurie, le cens dans telle autre...)[83].
Robert et la paix de Dieu
Lâinstitution de la paix de Dieu, Livre des Macchabées, Bible de Saint-Pierre-de-Roda, fin Xe siècle-début XIe siècle(Bibliothèque Nationale, Paris).La paix de Dieu est un « mouvement conciliaire dâinitiative épiscopale » qui apparaît au cours de la seconde moitié du Xe siècle dans le sud de la Gaule et qui se poursuit les décennies suivantes dans certaines régions septentrionales (1010-1030). Pendant longtemps lâhistoriographie a avancé le contexte dâune «
déliquescence des structures carolingiennes et de violences » au cours dâune période que Georges Duby a appelée « Premier Âge féodal » ou « Mutation féodale »[84]. Aujourdâhui le tableau de la paix de Dieu est plus nuancé : les prélats auraient-ils pu concevoir une société religieuse où les liens auraient été horizontaux à une époque où précisément un Adalbéron de Laon ou un Gérard de Cambrai méprisaient le serf des champs, bien que son travail fût
utile. Dâautre part, comment peut-on envisager à la fois une croissance économique importante aux Xe-XIe siècles au cours dâune époque violente et anarchique ?[85]
On sait que les mouvements de paix existaient déjà au haut Moyen Âge. Dâailleurs les pénitentiels carolingiens se préoccupaient tous de la souillure que représentait lâhomicide et les violations de lâÉglise. Selon Christian Lauranson-Rosaz, les premiers signes de la paix de Dieu apparaissent dans les montagnes auvergnates lors du plaid de Clermont (958) où les prélats déclarent que « la paix vaut mieux que tout ». Puis la première assemblée se serait tenue à Aurillac (972) à lâinitiative dâÉtienne II de Clermont et des évêques de Cahors et de Périgueux. On contraint par les armes ceux qui ne veulent pas jurer la paix[86]. En revanche, tout le monde est dâaccord pour dater de 989 la première assemblée de paix connue à Charroux (Poitou) à lâinitiative de Gombaud, archevêque de Bordeaux. Elle est suivie quelques années plus tard par celles de Narbonne (990), du Puy (994)... À chaque fois on évoque la paix, la loi et
on prête serment sur les reliques quâon a amenées pour lâoccasion. Les premières assemblées se réalisent souvent sans la présence des princes, car elles ne concernent que les zones périphériques, externes à leur champ dâinvestigation (même si Guillaume dâAquitaine en préside certaines dès 1010)[87].
Progressivement, les assemblées deviennent des « conciles » car les décisions sont consignées dans des canons élaborés. Dâailleurs la violation du serment et des sentences conciliaires est passible de lâanathème. Ainsi la paix est
montrée comme une condition nécessaire au salut de lââme (discours du Puy en 994). Les objectifs pris, au cours de ces assemblées, concernent avant tout la protection des biens dâÉglise contre les laïcs (continuité de la Réforme carolingienne). Mais la paix de Dieu nâest pas pour autant antiféodale puisque les droits des seigneurs sur leurs serfs et la vengeance privée, qui appartenaient au droit coutumier, sont confirmés. Ce qui, au contraire, est dénoncé ce sont les influences nuisibles provoquées par les guerriers aux tiers non armés. Quelques fois un arrangement est trouvé entre le clerc et le chevalier. Le moine pardonne alors à son interlocuteur qui a martyrisé des serfs en échange dâun don pour sa communauté[88]. Que demandent précisément ces assemblées conciliaires ?
La protection des bâtiments religieux, puis lâemplacement des églises : lutter contre la mainmise laïque.
La protection des clercs désarmés : le port dâarmes est interdit pour les oratores et les laboratores.
Lâinterdiction de voler du bétail : il sâagit surtout ici dâassurer l’approvisionnement de la seigneurie (on remarque que les vagues de paix concordent souvent avec les famines du Xe siècle)[89].
La participation des évêques à la paix de Dieu. Dâaprès H.-W. Goetz, « La paix de Dieu en France... », p. 138.La paix de Dieu, partie dâAquitaine, se diffuse dans tout le royaume :
« En lâan mille de la Passion du Seigneur, tout dâabord dans les régions de lâAquitaine, les évêques, les abbés et les autres hommes voués à la sainte religion, commencèrent à réunir le peuple en des assemblées auxquelles on apporta de nombreux corps de saints et dâinnombrables châsses remplies de reliques. »
— Raoul Glaber, Histoires, v. 1048., [90]
Après lâAquitaine, le mouvement gagne la cour de Robert le Pieux qui tient sa première assemblée (connue) à Orléans le 25 décembre 1010 ou 1011. Du peu quâon en connaisse, il semble que ce soit un échec. Les sources ne nous ont laissés de cette réunion, quâun chant de Fulbert de Chartres :
« Ô foule des pauvres, rends grâce au Dieu tout-puissant. Honore-le de tes louanges car il a remis dans la voie droite ce siècle condamné au vice. Il te vient en aide, toi qui devait supporter un lourd labeur. Il tâapporte le repos et la paix. »
— Fulbert de Chartres, Chant, v. 1010-1011., [91]
La paix de Dieu nâest sûrement pas homogène, au contraire pendant longtemps câest un mouvement intermittent et localisé : « où lâÉglise en a besoin et peut lâimposer, elle le fait ». Une fois prise en main par Cluny (à partir de 1016), le mouvement continue sa progression vers la Bourgogne où un concile se tient à Verdun-sur-Doubs (1021). Sous la présidence de Hugues de Châlon, évêque dâAuxerre, dâOdilon de Cluny et peut-être du roi Robert, la « paix des Bourguignons » est signée. Odilon commence alors à jouer un rôle majeur. Il propose dans un premier temps aux chevaliers bourguignons une diminution de la faide (guerre privée) et la protection des chevaliers qui feront le Carême. Dans un second temps à partir de 1020, il instaure une nouvelle paix clunisienne en Auvergne par le biais de sires de sa parenté. La seconde vague de paix, de plus en plus imprégnée par les moines, connaît son paroxysme avec l’initiation
à la trêve de Dieu (concile de Toulouges, 1027)[92]. Cependant, les évêques du Nord, tels que Adalbéron de Laon et Gérard de Cambrai ne sont pas favorables à lâinstauration des mouvements de paix dans leur diocèse. Pourquoi ? Dans le Nord-Est du royaume, la tradition carolingienne est encore très forte et elle avance que seul le roi est le garant de la justice et de la paix. Dâautre part, les évêques sont souvent à la tête de puissants comtés et nâont pas besoin dâasseoir leur autorité par la paix de Dieu contrairement à leurs confrères méridionaux. Les prélats considèrent aussi que la participation populaire au mouvement est tel quâil risque de montrer un caractère trop ostentatoire des reliques ce qui est contraire aux volontés divines. En outre, Gérard de Cambrai accepte finalement de faire promettre (et non de jurer) la paix de Dieu dans son diocèse[93].
Y a-t-il vraiment un contexte de faiblesse royale ? La société féodale du XIe siècle nâa-t-elle pour faire sa police rien dâautre que la paix de Dieu ? D’une part, la justice et la paix d’Aquitaine sont sous la responsabilité exclusive du duc Guillaume et dans lâensemble de ces régions où le roi ne règne quâen titre, les clercs se bornent à mentionner ses années de règne au bas des chartes[94]. De son côté, le roi Robert multiplie les assemblées : après
celle dâOrléans, il en rassemble une à Compiègne (1023), puis à Ivois (1023) et enfin à Héry (1024). Il y a bien beaucoup de violences au temps du roi Robert mais certains historiens insistent sur la perception des limites de cette violence et l’existence de formes de paix. Ce que veulent ducs et évêques câest surtout que ces négociations se déroulent sous leur tutelle. Dâautre part la faide, que déplorent les nombreux lettrés qui décrivent leur époque, est
une nécessité sociale dans la société : trouver des vengeurs garantit la sécurité de telle ou telle seigneurie. En bref, la paix de Dieu nâest pas un groupe de mouvement populaire pour changer le monde mais une paix pour aider au maintien du monde. Bien quâils craignent les colères de Dieu, lorsquâils le peuvent, les moines tentent toujours de négocier la situation et de s’arranger avec les chevaliers[95].
Le mouvement se poursuit une dernière fois dans la partie méridionale jusquâen 1033 où il disparaît. En réalité, lâÉglise pense que la répression des dégâts de la guerre privée serait plus efficace si des armées paysannes étaient lancées contre les châteaux. Certains seigneurs utilisent de plus en plus la paix de Dieu comme moyen de pression contre leurs adversaires : v. 1030-1031, raconte André de Fleury, lâarchevêque de Bourges constitue et encadre une milice de paix anti-châtelaine dont le but est la destruction de la forteresse du vicomte de Déols. Pourtant en 1038, les paysans sont défaits définitivement par les hommes d’armes du vicomte : c’est la fin de la paix de Dieu[96].
La société ordonnée du XIe siècle
Modèle de répartition des tâches en trois ordres, interdépendants les uns des autres. Selon Adalbéron de Laon : orantes (ceux qui prient), pugnantes (ceux qui combattent) et laborantes (ceux qui travaillent). Miniature du XIIIe s.À la fin de sa vie (vers 80 ans), lâévêque Adalbéron de Laon, qui sâétait autrefois illustré par ses nombreuses trahisons, adresse au roi Robert un poème (Carmen ad Rotbertum regem) de 433 vers, écrit entre 1027 et 1030[97]. Il sâagit en fait dâun dialogue entre le religieux et le roi bien quâAdalbéron monopolise la parole. Ce dernier dresse un portrait de la société de son temps, il dénonce par ses vers le « bouleversement » de lâordre du royaume « dont les moines de Cluny sont largement responsables » et dont le principal usurpateur nâest autre que lâabbé Odilon de Cluny[98].
« Les lois dépérissent et déjà toute paix a disparu. Les moeurs des hommes changent comme change lâordre [de la société]. »
â Adalbéron de Laon, Poème au roi Robert, v. 1027-1030., [99]
Ce texte souligne le discours moralisateur des clercs, dont le rôle est de décrire lâordre idéal de la société. Ainsi le désordre apparent de la société et ses conséquences (les mouvements de paix) dérangent les prélats du Nord de la France de tradition carolingienne. Le schéma des trois ordres ou « tripartite » a été élaboré dès le IXe siècle avant dâêtre repris dans les années 1020 par Adalbéron et Gérard de Cambrai, deux évêques de même parenté.
Pour quelles raisons ? Il s’agit de remettre de l’ordre dans la société et de rappeler à chacun le rôle quâil tient dans celle-ci[100]. Lâévêque de Laon résume sa pensée par une phrase célèbre :
« Triplex ego Dei domus est quae creditur una. Nunc orant, alii pugnant, aliique laborant (On croit que la maison de Dieu est une, mais elle est triple. Sur Terre, les uns prient, d’autres combattent et d’autres enfin travaillent). »
â Adalbéron de Laon, Poème au roi Robert, v. 1027-1030., [101]
« Depuis le commencement, le genre humain est divisé en trois : les orants, les agriculteurs, les combattants et chacun des trois est réchauffé à droite et à gauche par les autres. »
â Gérard de Cambrai, Actes du synode dâArras (?), 1025.[102]
Ceux qui prient : pour lâauteur, lâensemble de la société constitue un seul corps à partir duquel lâÉglise apparaît unique et entière. Jusquâau IXe siècle, les moines et les séculiers faisaient partie de deux catégories distinctes (sacerdotes et orantes). Leur rôle, rappelle Adalbéron, est de dire la messe et de prier pour les péchés des autres hommes[103]. À aucun moment, les clercs ne doivent juger ou diriger les hommes, cela est du ressort du roi ! Son témoignage souligne le profond malaise qui existe au XIe siècle entre lâépiscopat et les monastères, en particulier les abbés de Cluny quâil voit en horreur puisquâils se prennent pour des « rois » dit-il.
Ceux qui combattent : lâaristocratie châtelaine qui émerge au même moment a bien conscience de son appartenance aux lignages princiers et royaux de par lâapparition des noms de famille, lâémergence des récits généalogiques et du développement du titre de miles (chevalier) dans les sources du XIe siècle. Tous descendent directement des rois carolingiens et ne sont pas comme on lâa longtemps cru des « hommes neufs ». Adalbéron nâaime pas cette nouvelle catégorie de personnes qui se montre arrogante et usurpatrice. Néanmoins, les guerriers protègent les églises et défendent les hommes du peuple, grands et petits. Dans ce texte, la notion de « liberté » est très proche de celle dâ« aristocratie », les domini (seigneurs), aptes au commandement, se distinguent des soumis[104].
Ceux qui travaillent : les serfs travaillent toute leur vie avec effort. Ils ne possèdent rien sans souffrance et fournissent à tous la nourriture et le vêtement. Le fait que la servitude reste la condition du paysan reste très ancrée dans les classes dirigeantes de lâan mil. Dâailleurs pour désigner le paysan, Adalbéron nâutilise pas dâautres termes que servus (esclave puis serf en latin). D’autre part, il englobe dans la condition servile lâensemble de ceux qui « fendent la terre, suivent la coupe des bÅufs (...) criblent le blé, cuisent près du chaudron graisseux ». En bref, le monde paysan est peuplé par des individus soumis et « souillés par la crasse du monde ». Cette image péjorative des catégories populaires est le fait des élites ecclésiastiques[105].
Ce message du vieil Adalbéron est néanmoins plus complexe quâil nây paraît. Il faut dâabord remarquer que la protection des paysans est un faux problème. Cette protection nâest-ce pas en réalité les seigneurs qui leur interdisent de sâarmer eux-mêmes pour mieux les dominer ? Ce schéma tripartite fonctionne, uniquement, dans un contexte « national », contre un ennemi extérieur. Lors des guerres privées, qui sont monnaie courante au XIe siècle, les bellatores
combattent pour leur intérêt propre et ils ne défendent que partiellement leurs paysans. Pire, ils les exposent à leurs adversaires qui se feront un plaisir de les piller dans un dessein de vengeance chevaleresque[106]. En allant plus loin que Georges Duby, il faut enfin souligner que le modèle tripartite proposé par Adalbéron est un des nombreux modèles possibles : bipartite (clercs et laïcs), quadripartite (clercs, moines, guerriers et serfs). Il ne faudrait pas croire non plus à une certaine hiérarchie des ordres. Les contemporains sont conscients que chacun a besoin de l’autre pour survivre.
« Ces trois ordres sont indispensables lâun à lâautre : lâactivité de lâun dâeux permet aux deux autres de vivre. »
â Adalbéron de Laon, Poème au roi Robert, v. 1027-1030., [107]
Dans lâidéal, les paysans doivent recevoir une protection, insuffisante soit-elle, des guerriers et la rémission à Dieu aux clercs. Les guerriers doivent leur subsistance et leur profit (impôts) aux paysans et leur rémission à Dieu aux clercs. Enfin les clercs doivent leur nourriture aux paysans et leur protection aux guerriers. Pour Adalbéron et Gérard cette société idéale est déréglée lorsquâils écrivent vers 1025-1030[108].
Robert le Pieux et lâÉglise
Un « roi moine »
Robert le Pieux à lâoffice dans la cathédrale dâOrléans. Jean Fouquet, Grandes Chroniques de France, XVe siècle.Soucieux dâassurer leur salut et de réparer leurs péchés (incursions en terre dâÉglise, meurtres, unions incestueuses), rois, ducs et comtes de l’an mil attirent à eux les moines les plus performants et les dotent richement comme le relate Helgaud de Fleury pour le roi Robert[109].
L’abbaye de Fleury et l’ascension du mouvement monastique [modifier]
Article détaillé : Ordre de Cluny.
Le règne de Hugues Capet était celui de lâépiscopat, celui de Robert en sera autrement. Depuis le concile de Verzy (991-992), les Capétiens sont au cÅur dâune crise politico-religieuse qui oppose dâun côté, un proche du pouvoir, lâévêque Arnoul II d'Orléans et de lâautre lâabbé Abbon de Fleury[110].
En ces temps troublés (Xe-XIe s.), on assiste au renouveau du monachisme qui se caractérise par la volonté de réformer lâÉglise, un retour à la tradition bénédictine, éphémèrement revivifiée au temps de Louis le Pieux par Benoît d'Aniane. Leur rôle est de réparer « les péchés du peuple ». Les moines rencontrent rapidement un grand succès : rois et comtes les attirent près dâeux et les dotent richement en terres (souvent confisquées à des ennemis), en objets de toute nature, les grands abbés sont appelés à purifier certains lieux : ainsi Guillaume de Volpiano est appelé par Richard II de Normandie à Fécamp (1001). Sous lâégide de Cluny, les monastères cherchent de plus en plus à sâémanciper de la tutelle épiscopale, en particulier Fleury-sur-Loire. Dâailleurs des abbés sâen vont à Rome entre 996 et 998 réclamer des privilèges dâexemption au pape[111]. Dans les régions méridionales du royaume, Cluny et les autres établissements, les mouvements de paix sont diffusés avec lâaide de certains ecclésiastiques qui espèrent un renforcement de leur pouvoir : Odilon appuyé par sa parenté travaille en étroite collaboration avec lâévêque du Puy pour initier la trêve de Dieu en Auvergne (v. 1030). Néanmoins, dans les provinces septentrionales, Cluny nâa pas bonne presse. Ici les évêques sont à la tête de comtés puissants et lâintervention des clunisiens pourrait leur nuire. Adalbéron de Laon et Gérard de Cambrai nâapprécient pas les moines quâils considèrent comme des imposteurs. Dâailleurs du côté des évêques, les critiques contre les moines ne manquent pas : ainsi on leur reproche d’avoir une vie opulente, dâavoir des activités sexuelles contre nature et de porter des vêtements de luxe (lâexemple de lâabbé Mainard de Saint-Maur-des-Fossés est détaillé). Du côté des réguliers, les exemples contre les évêques foisonnent : on affirme que les prélats sont très riches (trafic dâobjets sacrés, la simonie) et dominent en véritables seigneurs de la guerre. Abbon, le chef de file du mouvement réformateur monastique, montre l’exemple en tentant
dâaller pacifier et purifier le monastère de La Réole, où il trouvera la mort dans une bagarre en 1004[112].
La force de Fleury et de Cluny est leur centre intellectuel respectif : le premier conserve au XIe siècle plus de 600 manuscrits de tout horizon, lâabbé Abbon lui-même écrit de nombreux traités, fruit de lointains voyages notamment en Angleterre, sur lesquels il réfléchit par exemple sur le rôle du prince idéal ; le second par lâintermédiaire de Raoul Glaber est un lieu où on écrit lâHistoire. Les rois Hugues et Robert, sollicités par les deux partis (épiscopal et monastique), reçoivent la plainte dâAbbon qui dénonce les agissements dâun laïc, Arnoul châtelain dâYèvres, qui aurait élevé sans autorisation royale une tour et surtout il aurait soumis par la force les communautés paysannes qui appartiennent à lâabbaye de Fleury. Arnoul dâOrléans, lâoncle dâArnoul dâYèvres, affirme quant à lui que son neveu est, pour le roi, un appui indispensable pour lutter contre Eudes Ier de Blois. Finalement une négociation se déroule sous la présidence de Robert et un diplôme daté à Paris de 994 met fin provisoirement à la querelle[113]. Abbon est alors dénoncé de « corrupteur » et convoqué à une assemblée royale. Il écrit pour lâévénement une lettre sâintitulant Livre apologétique contre lâévêque Arnoul dâOrléans quâil adresse au roi Robert, réputé lettré et piqué de culture religieuse. Lâabbé de Fleury saisit lâopportunité pour réclamer la protection de Robert, qui y répond favorablement. Lâépiscopat traditionnel carolingien se sent alors lâché par la royauté et menacé par les moines. Cette situation va se renforcer avec la mort de Hugues Capet à lâautomne 996[114]. Robert est désormais plutôt tenté par la culture monastique que par un pouvoir épiscopal et pontifical qui reste encore en grande partie le serviteur de lâEmpereur germanique. En parallèle de ces luttes de factions, on sait également que les évêques et les abbés se retrouvent aux côtés des comtes pour veiller au respect de leurs immunités juridiques.
Robert, le prince idéal
Sainte châsse mérovingienne sur laquelle le roi Robert a dû probablement prier. Musée de Sens, VIe siècle.À la mort du roi Robert, les chanoines de Saint-Aignan demandent à un moine de Fleury ayant côtoyé le roi et ayant accès à la
bibliothèque de lâabbaye ligérienne, de composer la biographie du second Capétien.
« Le très bon et très pieux Robert, roi des Francs, fils de Hugues, dont la piété et la bonté ont retenti par tout le monde, a de tout son pouvoir enrichi chéri et honoré ce saint [Aignan] par la permission duquel nous avons voulu écrire la vie de ce très excellent roi. »
— Helgaud de Fleury, Epitoma vitae regis Roberti pii, v. 1033., [115]
Dans sa biographie, Helgaud sâefforce de démontrer la sainteté de ce roi puisqu’il n’entend pas relater les faits touchant aux fonctions guerrières. Cette Åuvre semble sâêtre inspirée de la vie de Géraud d'Aurillac, un autre saint laïque racontée par Odilon de Cluny. La vie de Robert est une série dâexempla, destinés à montrer que le comportement du roi fut celui dâun prince humble qui possédait toutes les qualités : douceur, charité, accessible à tous, pardonnant tout. Cette hagiographie est différente de lâidéologie royale traditionnelle, puisque le roi semble suivre les traces du Christ. Le péché permet aux rois de se reconnaître comme simples mortels et ainsi asseoir des bases solides pour la nouvelle dynastie[116].
Lâabbaye de Fleury, depuis le règne de Hugues Capet, sâest occupée de légitimer profondément la monarchie capétienne en créant une nouvelle idéologie royale. Selon Helgaud, Robert est depuis son sacre, particeps Dei regni (participant à la royauté de Dieu). En effet, le jeune robertien a reçu en 987 lâonction de lâhuile à la fois temporelle et spirituelle, « désireux de remplir sa puissance et sa volonté du don de la sainte bénédiction ». Lâensemble des
clercs pour qui on possède les travaux, se soumet à lâégard de la personne royale : pour Helgaud, Robert tient la place de Dieu sur terre (princeps Dei), Fulbert de Chartres le nomme « Saint père » ou « votre Sainteté », pour Adémar de Chabannes câest le « père des pauvres » et enfin selon Adalbéron de Laon, il a reçu de Dieu la vraie sagesse lui donnant accès à la connaissance de « lâunivers céleste et immuable »[117]. Un autre grand lettré de son temps, Raoul Glaber relate lâentrevue dâIvois (août 1023) entre Henri II et Robert le Pieux. Ils sâefforcèrent de définir ensemble les principes dâune paix commune à toute la chrétienté. Selon les théoriciens du XIe siècle, Robert était du niveau de lâempereur puisque par sa mère des ascendances romaines, câest le Francorum imperator[118].
Secret de leur succès auprès des moines, les premiers Capétiens (et en premier lieu Robert II) sont réputés pour avoir effectué de nombreuses fondations religieuses. Hugues le Grand et Hugues Capet en leur temps avaient fondé le monastère de Saint-Magloire sur la rive droite à Paris. La reine Adélaïde, mère du roi Robert, réputée très pieuse, ordonne la construction du monastère Saint-Frambourg à Senlis et surtout celui dédié à sainte Marie à Argenteuil. À ce propos voici le commentaire de Helgaud de Fleury :
« Elle [la reine Adélaïde] construisit aussi dans le Parisis, au lieu appelé Argenteuil, un monastère où elle réunit un nombre considérable de serviteurs du Seigneur, vivant selon la règle de saint Benoît. »
— Helgaud de Fleury, Epitoma vitae regis Roberti pii, v. 1033., [119]
Le second Capétien se porte au premier rang dans la défense des saints qui, selon lui, garantissent lâefficacité de la grâce divine et « concourent ainsi à la purification de la société en faisant barrage aux forces du mal ». Ainsi
plusieurs cryptes sont construites ou rénovées pour lâoccasion : Saint-Cassien à Autun, Sainte-Marie à Melun, Saint-Rieul de Senlis à Saint-Germain-l'Auxerrois. Le souverain va plus loin en offrant des morceaux de reliques à certains
moines (un fragment du chasuble de saint Denis à Helgaud de Fleury). On sait aussi que v. 1015-1018, à la demande de la reine Constance, Robert commande la réalisation dâune châsse à lâintention de saint Savinien pour lâautel des reliques de lâéglise abbatiale de Saint-Pierre-le-Vif près de Sens. Dâaprès la légende, saint Savinien aurait protégé le couple royal lorsque Robert était parti à Rome avec Berthe avant de la quitter définitivement. La commande est faite à un des meilleurs moine-orfèvres du royaume, Odorannus. Au total, lâobjet sacré est composé de 900 grammes dâor et de 5 kg dâargent. Au total, lâinventaire est impressionnant : durant son règne le roi offre une quantité de chapes, de vêtements sacerdotaux, de nappes, de vases, de calices, de croix, dâencensoirs... Lâun des présents qui marque le plus les contemporains est probablement lâÉvangéliaire dits de Gaignières, réalisé par Nivardus, artiste lombard, pour le compte de l’abbaye de Fleury (début du XIe s.)[120].
Lâélu du Seigneur
Pluie de sang ravageant les terres. Apocalypse de Saint Sever, v. 1060, Bibliothèque nationale, Paris.La définition de la royauté au temps de Robert le Pieux est difficilement appréciable de nos jours. Le roi nâa quâune préséance sur les princes du royaume des Francs. Certains comme Eudes II de Blois (en 1023), bien que le respect soit de mise, lui font bien comprendre quâils souhaitent gouverner à leur guise sans son consentement. Un prince respecte le roi mais il ne se sent pas son subordonné. Pourtant en parallèle le souverain tend à sâimposer comme Primer inter pares, le premier des princes. Qui plus est, les textes datés de la première partie du XIe siècle évoquent largement la fidélité des princes envers le roi[121].
Un jour de 1027, une « pluie de sang » tombe sur le duché dâAquitaine. Le phénomène inquiète suffisamment les contemporains pour que Guillaume dâAquitaine lâexplique comme un signe divin. Le duc décide alors dâenvoyer des messagers à la rencontre du roi Robert pour que ce dernier demande aux meilleurs savants de sa cour une explication et des conseils. Gauzlin, abbé de Fleury et archevêque de Bourges et Fulbert de Chartres prennent en main lâaffaire. Gauzlin répond que « le sang annonce toujours un malheur qui sâabattra sur lâÉglise et la population, mais quâaprès viendra la miséricorde divine. » Quant à Fulbert, mieux documenté, il analyse les anciennes historiae (les ouvrages qui relatent les faits passés) :
« Jâai trouvé Tite-Live, Valère, Orose et plusieurs autres relatant cet événement ; en la circonstance je me suis contenté de produire le témoignage de Grégoire, évêque de Tours, à cause de son autorité religieuse. »
— Fulbert de Chartres, Lettre au roi Robert, 1027., [122]
Fulbert conclut dâaprès Grégoire de Tours (Histoire des Francs, VII), que seuls les impies et les fornicateurs « mourront pour lâéternité dans leur sang, sâils ne se sont pas préalablement amendés ». Ami de lâévêque Fulbert,
Guillaume dâAquitaine aurait pu sâadresser directement à celui-ci. Or, conscient que le roi Robert est lâélu du Seigneur câest à lui, responsable du royaume tout entier, qu’il faut demander conseil. Il est le mieux placé pour connaître les mystères du monde et des volontés de Dieu. Au XIe siècle, même les plus puissants des hommes respectent lâordre établi par Dieu câest-à-dire se recueillir auprès de son seigneur le roi[123].
Lâhistoire des pouvoirs magiques royaux a été traitée par Marc Bloch dans les Rois thaumaturges (1924). Pendant le haut Moyen Âge, le pouvoir de faire des miracles était strictement réservé à Dieu, aux saints et aux reliques. À lâépoque mérovingienne on a la mention du pieux Gontran, mentionné par Grégoire de Tours (VIe siècle) et considéré comme le premier roi guérisseur franc. Durant le règne dâHenri Ier, au milieu du XIe siècle, on commence à raconter
à Saint-Benoît-sur-Loire que le roi Robert avait le don de guérir les plaies de certaines maladies en les touchant. Helgaud de Fleury écrit dans sa Epitoma vitae regis Roberti pii :
« (...) cet homme de Dieu nâavait pas horreur dâeux [des lépreux], car il avait lu dans les saintes Écritures que souvent notre Seigneur Jésus avait reçu lâhospitalité sous la figure dâun lépreux. Il allait à eux, sâen approchait avec empressement, leur donnait lâargent de sa propre main, leur baisait les mains avec sa bouche (...). Au reste, la divine vertu conféra à ce saint homme une telle grâce pour la guérison des corps qu’en touchant aux malades le
lieu de leurs plaies avec sa pieuse main, et y imprimant le signe de la croix, il leur enlevait toute douleur de maladie. »
— Helgaud de Fleury, Epitoma vitae regis Roberti pii, v. 1033., [124]
En effet, le Capétien est le premier souverain de sa lignée à être crédité dâun don thaumaturgique. Peut-être est-ce une compensation symbolique à la faiblesse du pouvoir royal ? Probablement que oui, ne pouvant sâimposer par la force (épisode dâEudes de Blois en 1023), la monarchie a dû trouver une alternative pour imposer sa primauté. Néanmoins, cette première thaumaturgie est reconnue de « généraliste » câest-à-dire que le roi nâétait pas spécialisé dans telle ou telle maladie comme ça sera le cas pour ses successeurs avec les écrouelles[125]. On ne sait pas grand chose des actions magiques de Robert si ce nâest quâil aurait guéri des lépreux dans le Midi au cours de son voyage de 1018-1020. Le roi des Francs nâest pas le seul à user de ce genre de pratique, son contemporain Edouard le Confesseur en fait de même en Angleterre. Selon la tradition populaire, le sang du roi véhicule une capacité à faire des miracles, don qui est renforcé par le sacre royal. Enfin, selon Jacques Le Goff aucun document ne prouve que les rois des Francs aient pratiqué régulièrement le toucher des écrouelles avant Saint Louis[126].
Robert le Pieux et lâéconomie
Une période de pleine croissance économique
À partir du IXe siècle lâamélioration progressive de la productivité agricole entraine une expansion démographique qui est à la base dâune phase de croissance qui sâaccélère à partir de Xe siècle dure jusquâau XIVe siècleSi
au IXe siècle les pillages ont notablement ralenti lâéconomie, celle ci est en expansion soutenue à partir du Xe siècle. En effet avec lâinstauration dâune défense décentralisée, la seigneurie banale apporte une réponse bien adaptée au rapides raids sarrasins ou vikings. Il devient plus rentable pour les pillards de s’installer sur un territoire, recevoir un tribut contre la tranquillité des populations et commercer que de guerroyer dès le Xe siècle[127]. Les
Vikings participent ainsi pleinement au processus de féodalisation et à lâexpansion économique qui lâaccompagne. Ils doivent écouler leur butin, et ils frappent de la monnaie à partir des métaux précieux qui étaient thésaurisés
dans les biens religieux pillés. Ce numéraire, qui est réinjecté dans lâéconomie[128], est un catalyseur de premier plan pour la mutation économique en cours. La masse monétaire globale augmente dâautant quâavec lâaffaiblissement du pouvoir central de plus en plus dâévêques et de princes battent monnaie. Or la monétarisation grandissante de lâéconomie est un puissant catalyseur : les paysans peuvent tirer profit de leurs surplus agricoles et sont motivés pour accroitre leur capacité de production par lâemploi de nouvelles techniques et lâaugmentation des surfaces cultivables via le défrichage. Lâinstauration du droit banal contribue à cette évolution car le producteur doit dégager suffisamment de bénéfices pour pouvoir reverser le cens. Les châtelains réinjectent dâailleurs ce numéraire dans lâéconomie car lâun des principaux critères dâappartenance à la noblesse en plein structuration est d’avoir une
conduite large et dispendieuse envers ses pendants (cette conduite étant dâailleurs nécessaire pour sâassurer la fidélité de ses milites)[129].
De fait, dans certaines régions, les mottes jouent un rôle pionnier dans la conquête agraire sur le saltus. En Thiérache, câest « à lâessartage de terres revenues à la forêt quâest lié le premier mouvement castral ». En Cinglais, région située au sud de Caen, les châteaux primitifs sâétaient installés aux confins des ensembles forestiers[130]. Dans tous les cas, lâimplantation castrale en périphérie du village est très courante [131]. Ce phénomène sâinsère dans un peuplement linéaire très ancré et ancien qui se juxtapose à un défrichement précoce sûrement carolingien bien antérieur au phénomène castral. Néanmoins, les chartes du nord de la France ont confirmé une activité
dâessartage intensive encore présente jusquâau milieu du XIIe siècle et même au-delà.
Dâautre part la seigneurie comme le clergé ont bien perçu lâintérêt de stimuler et de profiter de cette expansion économique : ils favorisent les défrichages et la construction de nouveaux villages, et ils investissent dans des équipements augmentant les capacité de production (moulins, pressoirs, fours, charrues...), de transports (ponts, routes...). D’autant que ces infrastructures permettent d’augmenter les revenus banaux, de prélever péages et tonlieu[132]... De fait, lâaugmentation des échanges entraîne la multiplication des routes et des marchés (le réseau qui se met en place est immensément plus dense et ramifié que ce qui pouvait exister dans lâAntiquité)[133]. Ces ponts, villages
et marchés se construisent donc sous la protection dâun seigneur qui est matérialisée par une motte castrale. Le pouvoir châtelain filtre les échanges de toute sorte qui sâamplifient à partir du XIe siècle. On voit de nombreux castra implantés sur les axes routiers importants, sources dâun apport financier considérable pour le seigneur du lieu. Pour la Picardie, Robert Fossier a remarqué que près de 35 % des sites localisables en terroirs villageois sont situés
sur des voies romaines ou à proximité, et que 55 % des nÅuds routiers et fluviaux possédaient des points fortifiés[134].
Créations de nÅuds commerciaux
Lâexemple dâÉtampes, ville située à mi-chemin de Paris et dâOrléans, au cœur des domaines royaux montre que Robert le Pieux a parfaitement saisi les tenants et aboutissants économiques de lâépoque. Dâune part les voies fluviales sont les principaux axes commerciaux à lâépoque. Étampes se situe donc sur lâancienne voie romaine qui faisait jonction entre le bassin de la Seine et celui de la Loire: les deux principaux du royaume. Il décide donc de développer une ville à ce niveau. Il fait construire une forteresse à laquelle la reine Constance, adjoint un palais vaste et agrémenté de jardins (le palais de séjour montre que le roi venait contrôler ce qui se passait en ce point stratégique)[135]. La forteresse permet le développement de lâagglomération car les habitants pourrons sây réfugier et y protéger leurs avoirs en cas de besoin. Elle permet aussi de prélever un péage sur les marchandises qui transitent et doivent franchir la vallée encaissée de la Juine.
Pour créer un marché fréquenté et donc pour pouvoir prélever le tonlieu, un des meilleurs moyens à lâépoque est de créer un lieu de pèlerinage[136]. Si la fondation de lâéglise Saint-Basile ainsi que celle dâune collégiale desservie par douze chanoines, nommée Notre-Dame qui est décrite par son hagiographe Helgaut de Fleury[135] doit être pondérée par lâanalyse de la charte de 1046 concédée par Henri Ier[137], le roi a favorisé le développement de cette dernière en tant que lieu de pèlerinage, en lui offrant les reliques de trois martyrs vénitiens Can, Cantien et Cantienne qui sont lâobjet dâune grande vénération jusquâà la Révolution (fête des Corps Saints le 31 mai, grandes
processions lorsque des calamités sâabattent sur la ville)[138]. Les nombreux dons de reliques faits par Robert pendant son règne nâont donc pas seulement pour seul but de soutenir le développement du mouvement clunisien, ils ont aussi une fonction économique pour le développement de marchés et de point de productions agricoles (dont les abbayes sont de puissants catalyseurs).
Lâutilisation de lâénergie hydraulique plutôt quâanimale ou humaine permet une productivité sans comparaison avec celle disponible dans lâAntiquité et le haut Moyen Âge : chaque meule dâun moulin à eau peut moudre cent cinquante kilogrammes de blé à lâheure, ce qui correspond au travail de quarante esclaves[139]. Dès lors, pour stimuler lâéconomie locale, Robert le Pieux fait construire une vanne qui détourne une partie des eaux de la rivière (la Juine) pour alimenter des moulins à farine, des ateliers de foulons et de tanneurs[138]. Ces équipements permettent dâaugmenter les revenus liés droit banal. Cet ouvrage permet aussi de renforcer la défense.
Politique monétaire
Denier frappé par les VikingsLe denier dâargent est nous lâavons vu lâun des principaux moteur de la croissance économique depuis le IXe siècle. La faiblesse du pouvoir royal à entrainé la frappe de monnaie par de nombreux évêques, seigneurs et abbayes. Alors que Charles le Chauve comptait 26 ateliers de frappe monétaire, Hugues Capet et Robert le Pieux nâont plus que celui de Laon[140]. Le règne dâHugues Capet marque lâapogée de la féodalisation de la monnaie. Il en résulte une diminution de lâuniformité du denier et lâapparition de la pratique de la refrappe de la monnaie aux marchés (on se fie au poids de la pièce pour en déterminer la valeur). Par contre on est dans une période ou
lâaugmentation des échanges est soutenue par lâaugmentation du volume de métal disponible. En effet lâexpansion vers lâest de lâempire permet aux Ottoniens de pouvoir exploiter de nouveaux gisement d’argent. La marge de manœuvre de Robert le Pieux est faible. Or, la pratique du rognage ou des mutations, entraine des dévaluations tout à fait préjudiciables. Cependant en soutenant la paix de Dieu, Robert soutient la lutte contre ces abus. Les clunisiens qui comme
dâautres abbayes battent leur monnaie ont tout intérêt à limiter ces pratiques.
Câest pourquoi, au XIe siècle dans le Midi, les utilisateurs doivent sâengager à ne pas rogner ou falsifier les monnaies et les émetteurs sâengagent à ne pas prendre prétexte dâune guerre pour pratiquer une mutation monétaire[141].
Robert le Pieux et lâÉtat
L’administration royale
On sait que depuis 992 environ, Robert a la réalité du pouvoir face à un Hugues Capet vieillissant. Les historiens montrent ainsi que les premiers Capétiens commencent à renoncer au pouvoir autour de 50 ans, par tradition mais aussi parce que lâespérance de vie dâun souverain est dâenviron 55-60 ans. Robert fera la même chose en 1027, Henri Ier en 1059 et Philippe Ier en 1100[142]. À lâimage de son père et dans la tradition carolingienne de Hincmar de Reims, Robert prend conseil auprès des ecclésiastiques, chose qui ne se faisait plus, au grand regret des clercs, depuis les derniers Carolingiens. Cette politique est reprise et théorisée par lâabbé Abbon de Fleury. Du temps quâil était encore associé à Hugues, le roi pouvait écrire de la plume de Gerbert :
« Ne voulant en rien abuser de la puissance royale, nous décidons toutes les affaires de la res publica en recourant aux conseils et sentences de nos fidèles. »
â Gerbert dâAurillac, Lettre à lâarchevêque de Sens, v. 987., [143]
Le terme qui revient le plus souvent dans les chartes royales est celui de « bien commun » (res publica), notion reprise de lâAntiquité romaine. Le roi est ainsi le garant, du haut de sa magistrature suprême, du bien-être de tous ses sujets[144].
L’administration royale nous est connue par les archives et en particulier par le contenu des actes (diplômes royaux). Comme pour son père, on enregistre à la fois une continuité avec lâépoque précédente et une rupture. Lâhistoriographie a véritablement changé son point de vue sur lâadministration au temps de Robert depuis une quinzaine dâannées. Depuis la thèse de Jean-François Lemarignier, on pensait que lâespace dans lequel les diplômes étaient expédiés avaient eu tendance à se rétrécir au cours du XIe siècle : « le déclin sâobserve entre 1025-1028 et 1031 aux divers points de vue des catégories de diplômes ». Mais cet historien affirmait que, à partir dâHugues Capet et encore plus sous Robert le Pieux, les chartes comportaient de plus en plus de souscriptions (signatures) étrangères à la chancellerie royale traditionnelle : ainsi les châtelains et même de simples chevaliers se mêlaient aux comtes et aux
évêques jusquâalors prépondérants et devenaient plus nombreux quâeux à la fin du règne. Le roi nâaurait plus suffi à garantir ses propres actes[145].
Plus récemment, Olivier Guyotjeannin a mis en évidence un tout autre regard sur l’administration du roi Robert. L’introduction et la multiplication des souscriptions et des listes de témoins au bas des actes signent, selon lui, plutôt
une nouvelle donne dans les systèmes de preuves. Les actes royaux par des destinataires et par une chancellerie réduite à quelques personnes se composent pour la moitié dâentre eux encore, dâune diplomatique de type carolingien (monogramme, formulaires carolingiens) jusque vers 1010. Les préambules se modifient légèrement sous le chancelier Baudouin à partir de 1018 mais il y a toujours « lâaugustinisme politique et lâidée du roi protecteur de lâÉglise ». Surtout, souligne lâhistorien, les actes royaux établis par la chancellerie de Robert ne sâouvrent que très tardivement et très partiellement à des signatures étrangères à celles du roi et du chancelier. En revanche, dans la seconde
partie du règne on note quelques actes à souscriptions multiples : par exemple dans lâacte délivré pour Flavigny (1018), on note le signum de six évêques, de Henri, de Eudes II, du comte de Vermandois et de quelques ajouts ultérieurs. Il semble néanmoins que les chevaliers et les petits comtes présents dans les chartes ne soient pas les châtelains révoltés de lâhistoriographie traditionnelle mais plutôt les membres dâun réseau local tissé autour des abbayes et des évêchés tenus par le roi[146]. En clair, les transformations des actes royaux à partir de la fin du règne de Robert ne traduisent pas un déclin de la royauté.
La justice du roi Robert
Crypte de Saint-Benoît-sur-Loire, premier tiers du XIe siècle.Depuis la fin du Xe siècle, la formulation de lâidéologie royale est lâÅuvre du monde monastique, et en particulier dans le très dynamique monastère de Fleury à Saint-Benoît-sur-Loire. Dans la théorie dâAbbon de Fleury (v. 993-994), le souci du souverain de lâan mil est de faire régner lâéquité et la justice, garantir la paix et la concorde du royaume. Son dessein est de sauvegarder la mémoire capétienne pour des siècles[147]. De leur côté, les princes territoriaux du XIe siècle savent ce qui fonde et légitime leur pouvoir jusque dans leurs aspects royaux. La présence dâune autorité royale en Francie reste indispensable pour les contemporains. Cependant, Abbon souligne également dans ses écrits la nécessité pour le souverain franc dâexercer son office en vue du bien commun, en décidant des affaires avec le consentement des conseillers (les évêques et les princes). Or, Robert le Pieux nâa pas toujours suivi, à son grand tort, cette théorie, en particulier dans lâaffaire de la succession des comtés de Meaux et de Troyes (1021-1024)[148].
Depuis le début du règne de Robert le Pieux, les comtés de Meaux et Troyes étaient aux mains dâun puissant personnage, Étienne de Vermandois, un cousin germain du roi. En 1019, Étienne en appelle à la générosité du roi, câest-à-dire quâil lui confirme la restitution dâun bien à lâabbaye de Lagny. Le roi accepte mais le comte décède quelques années plus tard à une date inconnue entre 1021 et 1023. Fait rare à lâépoque, Étienne nâa pas de successeur
ni dâhéritier clairement nommé. Le roi se charge de gérer la succession quâil cède sans difficulté à Eudes II de Blois, seigneur déjà implanté dans la région (Épernay, Reims, Vaucouleurs, Commercy) et surtout cousin germain dâÉtienne[149]. Quelques mois plus tard une crise éclate. Lâarchevêque de Reims Ebles de Roucy fait part au roi des mauvaises actions du comte Eudes qui accapare tous les pouvoirs à Reims au détriment du prélat. Robert, en tant que défenseur de lâÉglise, décide, sans le consentement de quiconque, de retirer la charge comtale à Eudes de Blois. Ce dernier, furieux, sâimpose à Reims par la force. En outre, le roi des Francs nâest pas soutenu, sa justice est mise à mal. Ses fidèles Fulbert de Chartres et Richard II soutiennent Eudes de Blois en avançant que le roi ne doit pas se comporter en « tyran ». Convoqué par Robert en 1023, le comte de Blois informe courtoisement son roi quâil ne se déplacera pas et ce dernier nâa ni les moyens de lâobliger ni les moyens de saisir son patrimoine comtal, car ces terres n’ont pas été données personnellement par Robert à Eudes, ce dernier les ayant acquises de ses ancêtres par la volonté du Seigneur[150].
Sorti affaibli de cette affaire, le roi ne réitère pas la même erreur. En 1024, après une réunion des grands à Compiègne qui lui suggèrent lâapaisement avec Eudes de Blois, Robert doit confirmer les possessions de Eudes. Quelques années plus tard, en mai 1027, Dudon, abbé de Montierender se plaint publiquement de lâusurpation violente exercée par Étienne le châtelain de Joinville. Ce dernier sâest emparé de sept églises au détriment du monastère dont il est
pourtant lâavoué. Le roi se charge une nouvelle fois de lâaffaire, et profitant du couronnement de son second fils Henri à la Pentecôte 1027 à Reims, il convoque le châtelain Étienne. Ce dernier ne se déplace pas pour lâévénement. Lâassemblée présente, composée entre autres par Ebles de Reims, Odilon de Cluny, Dudon de Montierender, Guillaume V dâAquitaine, Eudes II de Blois, décide collégialement de lancer lâanathème sur le châtelain de Joinville. En
bref, le roi Robert n’est pas le roi faible que l’historiographie a toujours présenté. Certes, ses décisions en matière de justice doivent tenir compte du conseil des ecclésiastiques et des princes territoriaux, mais le souverain reste le Primer inter pares, câest-à-dire le premier parmi ses pairs[151].
Le roi des Francs est-il reconnu ? [modifier]
Nous avons conservé deux visions tout à fait opposées du roi Robert : dâun côté Raoul Glaber qui fait, entre autres, le récit de la campagne de Bourgogne soulignant lâattitude énergique et déterminée du roi et de lâautre Helgaud de Fleury qui nâhésite pas à en faire un roi saint « qui pardonne à ses ennemis » :
« Le reste, ce qui a trait à ses combats dans le siècle, aux défaites de ses ennemis, aux honneurs qu’il a acquis par son courage et son habileté, je la laisse écrire aux historiens, sâil sâen trouve. »
— Helgaud de Fleury, Epitoma vitae regis Roberti pii, v. 1033., [152]
Sceau de Robert le Pieux (vers 997). "Rotbertvs Dei Gratia Francorvm Rex" (Robert roi des Francs par la grâce de Dieu) Archives Nationales, Paris.Robert est le premier et le seul des premiers Capétiens à sâaventurer loin au sud de la Loire. Selon Helgaud de Fleury il s’agit uniquement dâune visite des reliques les plus vénérées du Midi. Le roi est reconnu par plusieurs de ses vassaux. En 1000, un comte des Bretons, Béranger, vient prêter allégeance au roi. En 1010,
le roi Robert, qui est invité par son ami Guillaume V d'Aquitaine à Saint Jean d'Angély, offre à lâéglise un plat dâor fin et des étoffes tissées de soie et dâor. Les résidences royales sont embellies et agrandies, surtout celles où le roi passe le plus de temps (Orléans, Paris et Compiègne). De nombreuses personnalités sont reçues par le roi Robert, telles que Odilon de Cluny ou Guillaume de Volpiano[153]. Le souverain est ainsi le dernier roi jusquâà Louis VII à entretenir des contacts avec la plus grande partie du royaume. Raoul Glaber affirme dans sa chronique quâexcepté le roi Henri II du Saint-Empire, Robert nâa pas d’autre concurrent en Occident. Sur son sceau, le roi des Francs porte le globe ce qui prouve sa vocation à rassembler la chrétienté. On dit que les rois Ethelred II d'Angleterre, Rodolphe III de Bourgogne et Sanche III de Navarre l’honorent de cadeaux et n’ont pas son envergure royale. On raconte que dans certaines régions où le roi nâest jamais allé (Languedoc) les actes sont datés de son règne. Il mène à la fois des actions offensives qui ne sont pas toujours victorieuses (en Lorraine) et des actions matrimoniales auprès des princes territoriaux : Adèle de France, veuve de Richard III de Normandie, épouse en seconde noce Baudouin V de Flandre (1028). Le roi avait précédemment lancé de vaines attaques sur la principauté du Nord. À la fin de son règne, les deux plus puissantes principautés territoriales, la Normandie et la Flandre, sont alliées du roi[154].
Siège de Melun par Robert le Pieux, roi de France. Grandes Chroniques de France de Charles V, Paris, XIVe siècle.A contrario, la royauté capétienne nâimpose pas son autorité partout comme lâillustre la prise de Melun par Eudes Ier en
991, que Robert et son père avaient dû reprendre par la force. À travers les très rares témoignages quâon garde du voyage dans le Midi, on sait que le roi nâa pas eu des rapports très amicaux avec les princes méridionaux. Même si
Guillaume V d'Aquitaine et Robert sont amis, le duc parle à son propos de la « nullité du roi » (vilitas regis) dans une lettre. La couronne dâItalie a échappé au duc dâAquitaine et Robert sâen réjouit[155]. Vers 1018-1020, lâAuvergne est soumise au désordre et le passage du roi ne rétablit pas la situation autour du Puy et dâAurillac. À proximité de son domaine, la maison de Blois pose à la royauté la plus grosse menace. Le roi laisse à Eudes II de Blois, fils de son épouse Berthe de Bourgogne, suite à lâaffaire du comté de Champagne, le soin dâobtenir la succession du comté de Troyes (1024). Mais ce choix permet au comte de brouiller les relations entre Robert et les évêchés du Nord-Est. Le roi ne se montre pas pour autant vaincu en s’appuyant sur les arrières du Blésois dans le Maine et à Saint-Martin de Tours[156]. Lors d’un voyage en Gascogne, Abbon de Fleury s’exprime :
« Me voici plus puissant en ce pays que le roi, car ici personne ne connaît sa domination. »
— Abbon de Fleury, v. 1000., [157]
Et à Fulbert de Chartres de rajouter :
« Le roi notre seigneur qui a la haute responsabilité de la justice est tellement empêché par la perfidie des méchants que pour le moment il ne peut ni se venger, ni nous secourir comme il convient. »
â Fulbert de Chartres, Lettre à lâarchevêque de Sens, v. 1025-1030., [158]
La reconstitution réelle de son action dans le royaume est très difficile à cerner tant les sources sont flatteuses à son égard (conception hagiographique de Helgaud). Doit-on au contraire considérer que son règne a été dans la continuité dâun déclin commencé sous les derniers Carolingiens ? En réalité, les chartes du premier tiers du XIe siècle montrent plutôt une lente adaptation des structures dans le temps. Dans tous les cas, Robert le Pieux, Capétien continuateur des valeurs carolingiennes, reste un grand personnage du XIe siècle[159].
-- GEDCOM (INDI) --
1 CAST Roi
Robert II "le Devot" de FRANCE | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||
(1) 988 | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Rosala (Suzanne) d'ITALIE | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||
(2) 997 | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Berthe de BOURGOGNE (WELF) | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||
(3) 1003 | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||